AIDES toi et le ciel t’aidera !
Mercredi 15h, au cœur du quartier marseillais de Noailles, le local de l’association Aides ressemble à n’importe quelle boutique de la rue de La Palud. A l’intérieur, Bernard, volontaire depuis 1996, et Patrick, salarié depuis dix ans, tiennent la permanence jusqu’à 20h. Le tutoiement est de rigueur. On y trouve capotes et documentation, mais surtout un large canapé rouge et une tasse de café chaud. Le lieu a été pensé convivial. « On est présent avant tout pour écouter », précise Patrick qui dit s’être « construit sur le terrain ». Volontaires comme salariés reçoivent une formation « counseling » sur plusieurs jours pour se familiariser avec les attitudes et les outils qui favorisent une relation d’aide. « On n’est pas là pour apporter de réponses, ni pour juger, note Patrick. On sait bien que se protéger tout le temps et toute la vie, c’est pas possible. C’est comme nous dire de faire le tour de notre voiture avant de prendre la route, ou de rouler à 30 ! Personne ne le fait jamais et roule à fond la caisse. Ben la prévention c’est pareil ! »
PACA NE SORT PAS COUVERTE
L’accueil de Noailles et celui de la Belle de Mai ont ouvert leurs portes en octobre et viennent remplacer le local unique des Réformés. « L’implantation à Noailles permet à la fois de toucher les gays et les migrants. Car aujourd’hui, ce sont eux qui sont le plus vulnérables au VIH (Virus de l’Immunodéficience Humaine) », précise Antoine Simon, responsable des deux structures. Selon le rapport 2012 du Crips (Centre régional d’information et de prévention du Sida), en Paca, les découvertes de séropositivité depuis 2008 sont en constante augmentation alors qu’au niveau national elles se stabilisent (données provisoires non redressées).
Avec 7826 cas de sida déclaré au 31 décembre 2011, Paca est la deuxième région de France la plus touchée après l’Île-de-France. Dans les Bouches-du-Rhône, il y a eu 126 déclarations de séropositivité en 2011 contre 110 en 2008. Une contamination en hausse inquiétante chez les « HSH » (Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes) qui passe de 49 % de cas de contamination en 2008 à 62 % en 2011, alors qu’elle aurait tendance à baisser chez les hétérosexuels (de 48 % en 2008 à 33 % en 2011). Marseille ne fait rien comme tout le monde : ces chiffres sont contraires à la moyenne nationale puisqu’en France les contaminations hétérosexuelles restent majoritaires en 2011 avec 55 % des découvertes de séropositivité. Concernant les migrants, les plus touchés sont ceux d’Afrique subsaharienne : au niveau national, le chiffre (30 % en 2011) est en baisse constante depuis 2003, alors qu’en Paca, il reste stable avec 10 %. C’est sans compter sur les séropositifs qui s’ignorent…
SE TESTER AU SAUNA GAY
D’où l’importance pour Aides d’aller à la rencontre des populations, que ce soit dans les soirées festives communautaires, à la prison des Baumettes, dans les saunas gay, les sex-clubs, les lieux de drague, etc. Pour Patrick, ces sorties permettent de rencontrer des gens qui ne pousseraient jamais la porte du local. « Imaginez un bon père de famille – et il y en a beaucoup plus que l’on ne croit – qui se rend régulièrement dans un sauna gay. Si on ne le touche pas sur place, on ne le touchera jamais ! »
Ce que Patrick entend par « toucher », c’est avant tout proposer à ceux qui fuient le dépistage de faire un test rapide de détection du VIH. Depuis fin 2010, les non-médicaux – après avoir suivi une formation spécifique – sont autorisés à réaliser ces tests. « On sait aujourd’hui que les traitements existants quand ils sont bien suivis et bien tolérés par les séropositifs évitent la contamination, indique Antoine Simon. L’enjeu, c’est d’arrêter l’épidémie et pour cela de dépister au plus vite pour proposer un traitement au plus tôt. » La majorité des contaminations se produisent au moment où la personne vient elle-même d’être contaminée. Car à ce moment-là, le virus est très puissant et se réplique énormément.
En 2011, l’activité de dépistage est en augmentation de 4 % au niveau national, en Paca, malgré un nombre de dépistages élevés, elle stagne. A Marseille, seule Aides, pour l’instant, pratique les Tests rapides d’orientation et de diagnostic (Trod). Ils fonctionnent avec une goutte de sang et un réactif, le résultat est immédiat et fiable. « Nous n’annonçons pas une séropositivité, mais nous disons qu’il y a "une extrêmement forte probabilité que le résultat soit positif" avant de rediriger la personne vers une analyse de sang, comme le font les médecins, pour confirmer le résultat », précise Antoine Simon.
Bernard n’a pas souhaité suivre la formation, car malgré la périphrase, il ne se sent pas la force d’annoncer un résultat positif. Lui-même déclaré séropo en 1983, lors d’un banal don du sang, il a vécu pendant 15 ans sans s’en préoccuper. « On m’avait dit que j’avais un problème sanguin, à 20 ans, à cette époque-là, ça ne voulait rien dire ! » C’est lorsqu’il commence à tomber malade qu’il prend conscience de son état. « Maintenant on peut espérer vivre, mais moi j’ai connu la période noire, où l’on vous annonçait 2 ans de sursis, confie-t-il. Vous ne preniez même plus des nouvelles des gens, de peur d’apprendre leur mort… » En 20 ans, si les traitements ont évolué, les mentalités pas toujours. Et le bénévole de constater : « Certains lavent encore leur verre à la javel après qu’un séropositif y ait bu. Le pire, c’est quand le corps médical s’y met. A Marseille, par exemple, nombreux sont les dentistes qui refusent encore de prendre un patient atteint du VIH. »
Samantha Rouchard