Abattoir blues
Abattoir en Roumanie, transformation à Castelnaudary, conditionnement au Luxembourg et vente dans l’Europe entière avec Findus. Le scandale Spanghero, du nom de la société française qui ne savait pas reconnaître la viande de boeuf de celle du cheval, a permis de lever un voile peu reluisant sur l’industrie agro-alimentaire. Comme le reste de l’économie, la viande voyage de plus en plus avant d’arriver dans nos assiettes, quitte à perdre, en cours de route, toute traçabilité.
Avec quelques 750 000 têtes (sans parler des volailles !), le cheptel d’animaux en Provence-Alpes-Côte d’Azur peut paraître important mais il est bien loin de satisfaire le besoin en viande des 4,5 millions d’habitants de la région. « Par rapport aux autres régions françaises, Paca est sous-dimensionné, note Mathilde Alexandre, responsable élevage à la chambre régionale d’agriculture. Les bovins, par exemple, ne représentent que 0,35 % du troupeau français. Pour autant, les 3 000 troupeaux occupent 50 % des terres agricoles de la région. Ils sont particulièrement bien intégrés à l’activité économique du territoire. Les alpages permettent, par exemple, d’entretenir les espaces montagneux l’été, alors qu’ils sont utilisés par les stations de ski en hiver. »
Le « miracle » du halal
De fait, la région Paca importe massivement des viandes de toute nature, à l’exception des ovins, qui représentent pourtant plus de 80 % du troupeau avec 630 000 têtes. Ce que confirme Anaïs Arnaud, responsable qualité à l’abattoir de Sisteron (04), le premier de France pour cette spécialité : « Plus de 90 % de notre production sur l’année 2012 est issue de la production française. Avec 35 % des abattages, la région maintient sa place de première source d’approvisionnement. » Cependant, le label rouge « Agneaux de Sisteron », dont la certification permet d’assurer que la bête a été élevée en PACA ou dans la Drôme provençale, ne représente que 10 % de la production qui s’élève chaque année à environ 500 000 têtes. « La règlementation de plus en plus exigeante exige un abattage en 40 minutes maximum, poursuit Anaïs Arnaud. Ici, grâce aux investissements et au savoir-faire des bouchers, nous mettons 30 minutes entre la saignée, le dépeçage, la découpe de la tête, la récupération des abats, des peaux, des pieds, l’identification et le contrôle vétérinaire et enfin la pesée de la carcasse. »
A Carpentras (84), la survie de l’abattoir est passée par autre spécialisation, les produits halals. C’est la PME Alazard et Roux, qui règne déjà sur le pays d’Arles avec le contrôle de l’AOC taureau de Camargue traité dans son abattoir de Tarascon (13), qui a repris l’abattoir municipal de Carpentras en 2011. « Nous avons investi 1,5 millions d’euros pour remettre les installations aux normes et nous nous sommes spécialisés dans le halal, qui est un marché porteur avec 5 milliards d’euros de CA par an en France et une croissance annuelle de 15 % » assure Oliver Roux, le PDG de l’entreprise. Lui aussi reconnaît que ses abattoirs, pour qu’ils puissent tourner normalement, ne peuvent pas faire autrement que de traiter des bêtes venues du reste de la France et surtout des importées.
Du producteur à l’assiette
« La seule façon de s’assurer de ce que l’on a dans son assiette, c’est encore de manger de la viande produite chez nous, estime de son côté Francis Girard, éleveur d’Agneau du côté de Dignes (04). Et pour que l’on soit certain qu’elle ne soit pas mélangée à d’autres, il faut des petits abattoirs sous forme de coopérative, ce que nous avons fait avec celui de Dignes. Nous travaillons uniquement avec des éleveurs du coin et nous avons mis en place une vente directe avec les Amaps (Ndlr Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) » Un modèle social mais fragile dans une économie de marché dérèglementée. Après avoir augmenté de 50 centimes les tarifs de l’abattage et de la découpe, les éleveurs se sont récemment tournés vers les pouvoirs publics pour prendre le relais afin d’assurer la pérennité de la structure. « Pourtant, au vu de scandale Spanghero, affirme Francis Girard, porte-paroles de la Confédération paysanne dans le Var. C’est la seule solution à nos yeux de pouvoir assurer aux bêtes un bon traitement, aux éleveurs, un bon prix et au consommateur, un bon produit. » L’autre solution, plus radicale et moins favorable aux éleveurs, consisterait à arrêter de manger de la viande. Après une visite dans un abattoir, c’est très facile.
Stéphane Sarpaux