À Pourrières, sortie de route d’un maire en plein conflit d’intérêts
Le 27 mars 2014, sur la nationale 7 à Pourrières (Var), un poids lourd percute par l’arrière une navette scolaire à l’arrêt. Les deux passagères, Héléna et Julia, 15 ans, qui rentraient du lycée, meurent sur le coup. Le conducteur de la navette, un jeune homme de 21 ans qui était lui attaché, s’en tire avec de simples contusions.
Au fil de l’enquête, les parents des lycéennes ont découvert de nombreux manquements de la part de l’entreprise chargée du transport scolaire, dirigée par Sébastien Bourlin, maire (UDI) depuis 2001 de Pourrières. Mais seul le chauffeur du poids lourd a pour l’instant été inquiété par la justice. Cet homme de 24 ans – au moment des faits – a été mis en examen le 8 juillet 2014, dans le cadre de l’information judiciaire pour homicide involontaire confiée par le parquet de Draguignan à la juge d’instruction Olivia Giron.
Sa responsabilité semble évidente. Selon le rapport d’un expert automobile près de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, l’origine de l’accident « provient du manque d’attention » du chauffeur routier, de sa « vitesse excessive » et de sa « surprenante passivité » puisqu’il n’a pas tenté d’éviter par la droite le minibus arrêté sur la chaussée pour tourner à gauche. Mais l’expertise note que le conducteur de la navette scolaire a également manqué de vigilance, qu’il ne s’est pas assuré lors du trajet que les jeunes filles étaient attachées et que sans une « erreur d’itinéraire » de sa part, « il n’y aurait jamais eu de choc ».
En cherchant à comprendre les causes de ce tragique accident, les parents des deux victimes ont découvert que le patron du conducteur de la navette scolaire Sébastien Bourlin se trouvait en plein conflit d’intérêts. Le maire de Pourrières est à la fois responsable commercial des Transports Bourlin, l’entreprise délégataire depuis juillet 2013 du marché de transports scolaires sur Pourrières et, en tant que maire de cette même commune, chargé du contrôle de la bonne exécution de ce marché public.
C’est d’ailleurs lui qui est interrogé à plusieurs reprises par les gendarmes, comme dirigeant de cette entreprise familiale à la suite de l’accident. Il lui arrivait même de prendre le volant de la navette. « Il était à la fois transporteur et contrôleur, donc il ne pouvait pas y avoir de contrôle », estime Stella Petrucci-Balikian, la mère d’Héléna, enseignante d’anglais dans un collège voisin.
De par une convention signée en 2009 avec le département du Var, la commune de Pourrières a en effet fonction d’autorité organisatrice de second rang du transport scolaire. Elle est chargée de la « surveillance et [du] contrôle [des] lignes scolaires » et des « propositions de modification de circuits » après « accord écrit du département ». Le 9 décembre 2016, les parents d’Héléna ont donc déposé plainte contre X pour prise illégale d’intérêts auprès du procureur de Draguignan. Sans réaction de la justice, ils ont déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile le 23 mars 2017 auprès du doyen des juges d’instruction. « Force est de constater que cette confusion des rôles a conduit inévitablement à un défaut de surveillance et de contrôle de la ligne scolaire en cause dans l’accident de la route », écrit leur avocat Me Frédéric Monneret.
L’entreprise de l’élu a violé plusieurs des clauses du marché public, sans réaction jusqu’alors du département du Var. Précisons qu’en mars 2015, Sébastien Bourlin a été élu au conseil départemental où il siège depuis dans la majorité LR. Le jour de l’accident, et sans doute depuis quelques semaines, les enfants circulaient dans un minibus « Jumpy » neuf places, alors que le cahier des charges du département prévoyait trois autocars de 20 à 29 places, dotés de vidéosurveillance. Ce choix, sans doute dicté par des raisons économiques, a des conséquences fâcheuses en termes de sécurité puisque « le Jumpy est moins solide, moins lourd (1,7 tonne contre 7 tonnes), moins visible et sa conduite n’exige qu’un permis B », détaille Stella Petrucci.
Entendu comme témoin par les gendarmes le 9 juin 2015, Sébastien Bourlin a prétendu qu’« à aucun moment, il n’a été défini dans le cahier des charges un véhicule affecté mais juste une capacité ». Pour emporter le marché public, son entreprise s’était pourtant engagée dans son mémoire technique à affecter trois autocars IVECO d’une trentaine de places. Et côté département, le cahier des clauses techniques du marché stipule que le titulaire « n’a pas à prendre l’initiative de changement de capacité ou du nombre de véhicules affectés aux services sans en avoir l’accord préalable du pouvoir adjudicateur ».
Le département prévoit même des pénalités de 600 euros en cas de « capacité inférieure à celle définie » ou « de véhicule non conforme avec les éléments fournis par le candidat dans le mémoire technique ». Sollicité pour savoir si l’entreprise Bourlin avait été sanctionnée, le conseil départemental du Var a refusé de nous répondre. Tout comme Sébastien Bourlin après que nous lui avons, à sa demande, envoyé nos questions.
Autre manquement, le minibus était conduit par un jeune homme détenteur du permis B depuis à peine trois ans. Ce jeune homme, fils d’une employée de l’entreprise présente sur la liste de Sébastien Bourlin aux élections municipales de 2008, avait été embauché en CDD quelques semaines plus tôt pour remplacer un arrêt maladie. Le département exigeait pourtant que « tous les conducteurs affectés » bénéficient d’une « formation dans le domaine spécifique des transports » et présentent « toutes les garanties de moralité et de sobriété ». Dans son offre, l’entreprise avait assuré que tous ses chauffeurs étaient titulaires de ces formations, beaucoup plus exigeantes qu’un simple permis B.
« Avant lui, c’était une dame qui faisait attention que les enfants mettent leur ceinture et prenait le circuit le moins dangereux », affirme Stella Petrucci. Plusieurs enfants usagers de la navette scolaire ont confirmé aux gendarmes le manque de vigilance du jeune chauffeur à l’égard des ceintures de sécurité. « La première réaction de ma fille cadette quand nous nous sommes rendus sur les lieux de l’accident a été de demander : “Mais qu’est-ce qu’elle faisait là, la navette ?” », ajoute la maman.
Car sous prétexte de contourner un embouteillage, le conducteur avait emprunté un itinéraire qui ne correspondait ni à celui validé par le département ni à celui, moins dangereux, habituellement utilisé par les conducteurs expérimentés et qui évitait la nationale 7, connue pour sa dangerosité. Le marché interdit pourtant formellement tout changement d’organisation des circuits sans accord préalable du département. Et prévoit que les nouveaux conducteurs effectuent d’abord le circuit « en doublon avec un conducteur expérimenté ». Autant d’obligations manifestement piétinées.
Un responsable du réseau de transport public départemental Varlib, entendu le 12 janvier 2016 par les gendarmes, a reconnu que le département n’effectuait « aucun contrôle sur la ligne intra-muros de Pourrières ». Et que le transporteur ne leur « a jamais fait part de l’utilisation » du Jumpy à la place de l’autocar prévu par le marché. « Je n’ai jamais su que ce véhicule était utilisé en permanence sur cette ligne », a confirmé aux enquêteurs le directeur des transports publics du Var le 22 décembre 2015. À la suite de l’accident, le département a modifié le circuit afin d’éviter la nationale 7.
Une cachotterie des gendarmes
L’information judiciaire a également révélé une petite cachotterie des gendarmes de Saint-Maximin chargés de l’enquête. Ils ont omis de signaler qu’une de leurs patrouilles avait contrôlé le conducteur de la navette scolaire le 13 mars 2014, soit deux semaines avant l’accident, consommant du haschisch sur un sentier de Pourrières avec des amis. Le jeune homme avait été jugé deux fois pour usage de cannabis. Au moment de l’accident, il n’était cependant pas sous l’emprise du cannabis, présent seulement à l’état de traces dans son organisme.
Les familles des victimes, qui ont découvert fortuitement l’existence de ces alertes en janvier 2015, ont alors demandé l’audition des gendarmes à la juge d’instruction. Celle-ci a eu lieu en famille : les pandores de Brignoles, une commune voisine, ont été chargés d’interroger leurs collègues de Saint-Maximin. « Mon collègue et moi-même avons été choqués (…) car nous trouvions ce métier totalement incompatible avec une addiction aux stupéfiants », avouera l’un des gendarmes, à l’origine du contrôle.
Les deux gendarmes de Saint-Maximin auraient alors demandé à la société de transports Bourlin (tombant sur la mère de Sébastien Bourlin) de leur fournir les circuits et horaires du chauffeur pour mettre en place un contrôle routier et vérifier qu’il « ne conduise pas sous l’emprise de produits stupéfiants ». Sébastien Bourlin est à nouveau alerté, cette fois sous sa casquette de maire, par son propre garde champêtre et par le lieutenant à la tête de la brigade de Saint-Maximin.
« Dommage que l’entreprise Bourlin n’ait pas été plus réactive car le pire aurait pu être évité », regrettera l’un des gendarmes de Saint-Maximin, entendu par ses collègues le 29 juin 2015. Avisés à trois reprises, ni le maire, ni la société de transports qu’il codirige n’ont réagi. « En ma qualité de maire de la commune, on ne m’a jamais fait part de ses agissements sauf votre commandant de brigade », s’est maladroitement défendu Sébastien Bourlin le 15 juin 2015.
Pourquoi les gendarmes chargés de l’enquête avaient-ils caché cet épisode ? En relation régulière avec Sébastien Bourlin pour traiter les questions de délinquance sur sa commune, les gendarmes ont-ils cherché à protéger le maire ? Le lieutenant à la tête de la communauté de brigade de Saint-Maximin, interrogé le 25 juin 2015 par ses collègues de Brignoles, a prétendu ne plus se souvenir de la « teneur exacte » de son échange avec le maire de Pourrières à propos du chauffeur. Stella Petrucci n’en revient pas : « Si nous n’avions pas demandé leur audition, ces gendarmes n’auraient rien dit. C’est grave, ils dissimulent des éléments à la justice. Ils savent que le chauffeur avait des problèmes de stupéfiants, que le maire avait été avisé et ils font comme si de rien n’était. »
L’entreprise Bourlin est une entreprise familiale, qui compte cinq membres de la famille parmi ses 32 effectifs. « Ma sœur Angélique gère l’exploitation, en fait le quotidien, et j’assume la partie commerciale et réponse au marché public », a décrit Sébastien Bourlin aux gendarmes. Jusqu’en mai 2014, avant sa démission quelques semaines après l’accident, le frère de son premier adjoint, Régis Granier, figurait également parmi les conducteurs des Transports Bourlin, tout en cumulant ce poste avec un emploi à la mairie. À en croire sa déposition devant les gendarmes, les deux allaient ensemble. « J’ai commencé aux Transports Bourlin en même temps qu’à la mairie, donc il y a environ 12 ans », leur a-t-il indiqué. L’homme est actuellement responsable des services techniques municipaux (il nous a contacté après la publication de cet article, lire ses précisions en fin d’article).
Trois ans après le début de l’instruction, les familles commencent à trouver le temps long. « Nous espérons que c’est parce que la justice veut creuser toutes les pistes, dit Laurent Brun, père de Julia. Pour l’instant, une seule personne est mise en examen, et les autres parties qui ont commis des fautes n’ont pas été inquiétées. Ce qui nous intéresse, c’est que la justice s’interroge sur la transparence du marché du transport, pourquoi le véhicule prévu a été changé – j’imagine pour des raisons économiques –, sur l’attribution de ce marché à une société en lien avec la mairie et le conseil général. »
La société Bourlin était la seule à candidater sur le lot du transport scolaire sur le territoire de Pourrières qu’elle a remporté en juillet 2013. C’est-à-dire qu’elle n’a eu aucun concurrent. C’était le cas pour seulement 2 des 17 lots attribués ce jour-là par le conseil général du Var. Dans ces circonstances, il est courant – mais pas obligatoire – que les collectivités déclarent nul le marché et le relancent pour attirer d’autres candidats. Ce que le département du Var n’a pas fait.
Le marché doit être renouvelé en juillet 2017. L’entreprise Bourlin pourra-t-elle candidater alors que son dirigeant siège depuis 2015 au conseil départemental du Var ? Visiblement rien ne l’en empêche, puisqu’il ne siège pas dans la commission d’appel d’offres du département. Celle-ci est présidée par Jean-Guy Di Giorgio, élu toulonnais mis en examen pour favoritisme et prise illégale d’intérêts dans une information judiciaire de la JIRS de Marseille portant sur le marché de l’incinérateur de Toulon.
« Son entreprise peut postuler, mais il ne doit pas siéger lors de l’attribution du marché public par le conseil départemental pendant l’assemblée s’il le remporte et il ne doit pas de près ou de loin intervenir dans la commission d’appel d’offres, précise Olivier Thomas, président d’Anticor Var, association contre la corruption et pour l’éthique en politique. Lors du vote du marché public, il doit sortir de la salle et surtout ne pas obtenir d’informations que les concurrents ne sont pas en mesure d’avoir. » Si son entreprise se représentait et emportait à nouveau le marché, Sébastien Bourlin deviendrait alors prestataire, autorité de premier rang et aussi de second rang.
Pour éviter de passer tous les matins devant les lieux de l’accident, les familles des victimes ont déménagé. Aucune n’a reçu de condoléances du maire, qui avait cependant contribué à l’organisation d’une marche blanche en mémoire des deux lycéennes aussitôt après le drame. En revanche, Laurent Brun a eu affaire à lui pour gérer l’achat d’un caveau et l’enterrement de sa fille dans le cimetière municipal. Et, circonstances mises à part, ce ne sont pas de bons souvenirs. « Nous ne sommes pas de la région alors nous n’avions pas de caveau familial, explique cet ingénieur, qui travaille comme sa femme à STMicroelectronics. Le caveau vendu n’était pas fait dans les normes, contrairement à ce que le maire nous avait dit. Il y avait des infiltrations d’eau. En fait, un expert nous a dit qu’il s’agissait d’un caveau temporaire, qui nous a été vendu comme un caveau familial. Nous avons dû nous battre pour la construction d’un caveau aux normes et il a donc fallu traiter avec le maire. Et vivre une exhumation supplémentaire… »
Une famille omniprésente
« En conseil municipal, le maire ne s’est jamais exprimé sur cette affaire », se désole Pierre Coste (liste DIV, Pourrières Autrement), qui après 20 ans en tant qu’élu d’opposition a démissionné du conseil municipal fin 2016, lassé de se « battre contre des tas d’irrégularités et de voir que cela n’avance jamais, ni au niveau des pouvoirs publics, ni au niveau de la justice ». Il accuse le maire de « défendre ses intérêts personnels et ceux de sa famille ». Une famille omniprésente à Pourrières, notamment via l’entreprise familiale créée en 1998 durant son premier mandat comme adjoint.
Pourrières dispose de trois licences de taxi, dont deux sont détenues par les parents de Sébastien Bourlin. C’est pour avoir frauduleusement attribué la troisième licence que le maire a été condamné par le tribunal de grande instance de Draguignan, le 29 février 2008, à trois mois d’emprisonnement, 1 000 euros d’amende et trois ans d’interdiction d’exercer toute fonction publique. L’un de ses opposants, qui deviendra candidat sur une liste rivale aux municipales de 2008, était postulant depuis décembre 2002 et premier sur la liste d’attente. Pourtant, en juin 2005, le maire attribue la troisième licence à un autre administré.
Il remet une liste d’attente falsifiée à la commission départementale des taxis. Le 18 février 2009, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a relaxé Sébastien Bourlin au motif que si les faits étaient avérés, il n’y avait « pas de volonté de nuire » de sa part et que l’élément intentionnel des deux infractions n’était pas prouvé…
Si Sébastien Bourlin n’a finalement pas été condamné, cette procédure a coûté cher à la commune. Interrogé en conseil, le maire avait à plusieurs reprises assuré que le risque financier pour la commune était nul car il avait souscrit « sur ses deniers personnels » une assurance le couvrant, lui et ses adjoints, « pour les poursuites pénales ». Cependant, les frais d’avocat du maire ont en fait bien été pris en charge par la commune, comme le prévoit la loi lorsqu’un élu est poursuivi « à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ». En première instance, le coût pour la commune a été de 7 300 euros mais en appel, le maire ayant sollicité Me Molina et Me Grimaldi, anciens conseils d’Alexandre Guérini qui ont également défendu l’OM, la Ville de Marseille, la communauté urbaine Marseille Provence Métropole ainsi que le syndicat FO territoriaux, la facture a grimpé à plus de 63 000 euros !
En trois mandats, nombreux sont les élus de sa majorité qui ont démissionné. En 2007, deux d’entre eux se rallient à deux de l’opposition et déposent plainte pour « soupçons de prise illégale d’intérêts » concernant une servitude de passage qui a été consentie à la mère et aux tantes de Bourlin sur une parcelle acquise par la ville afin d’aménager le parking de la gare routière de Pourrières, soit 268 m2 aux frais de la commune, décision non délibérée en conseil municipal. Trois ans de procédure et de rebondissements. Le 15 juillet 2009, le tribunal administratif de Toulon autorise les élus à déposer plainte au nom de la commune, leur action apparaissant « présenter un intérêt suffisant » et n’étant pas dépourvue « de toute chance de succès ». Sébastien Bourlin fait appel de cette décision devant le Conseil d’État qui, en juin 2010, annule la décision du tribunal administratif. Fin de l’histoire. En début d’année, un nouvel élu de la majorité, Emmanuel Morino, a encore démissionné et adressé un message sans équivoque à Bourlin : « Force est de constater que les valeurs auxquelles je suis attaché, la confiance, l’esprit d’équipe, la solidarité ainsi que le dialogue social ne sont pas des valeurs que je retrouve en travaillant avec toi. »
En janvier 2008, Sébastien passe à nouveau entre les gouttes. L’Office départemental d’éducation et de loisirs (ODEL), fortement lié au conseil général du Var, remporte l’appel d’offres pour gérer le centre de loisirs de Pourrières. Le marché est de 957 000 euros, Bourlin l’aurait attribué à l’ODEL sans délibération du conseil municipal, ni réunion de la commission d’appel d’offres (CAO), alors que le code des marchés publics prévoit un passage devant la CAO pour les marchés de plus de 230 000 euros. Et que sa délégation de signature ne portait que sur des contrats de moins de 206 000 euros. L’offre de la fédération Léo-Lagrange, qui dispose de plus de 60 ans d’expérience et d’une reconnaissance au niveau national, était inférieure de 31 500 euros à celle de l’ODEL Var, mais le maire a considéré qu’elle avait une notoriété moindre et lui a attribué une note inférieure.
Les élus ont été informés de ce choix par un simple document accompagnant la convocation du conseil municipal du 14 avril 2008. Pierre Coste a signalé à deux reprises cette irrégularité à la sous-préfecture de Brignoles, lui demandant de déferrer ce marché au tribunal administratif. La préfecture a refusé au prétexte que « les délais impartis étaient dépassés », l’ODEL ayant déjà été informé du délibéré.
En 2011, Mediapart avait interrogé le maire de Pourrières sur la passation de ce marché. L’ancien professeur en « gestion des collectivités locales » à l’université d’Aix-Marseille avait botté en touche, se dédouanant sur l’inaction du préfet : « Le marché n’a pas été cassé par les services d’État et, sur ce dossier, la commune n’a subi aucun recours administratif. »
Au même titre que d’autres maires du Var, Bourlin était à l’époque administrateur de l’association. Depuis 1996, la présidente de l’ODEL Var est Josette Pons, députée-maire de Brignoles et conseillère générale jusqu’en 2015. Elle a été condamnée fin 2016 à 45 000 euros d’amende pour avoir omis de déclarer 2,1 millions d’euros d’actifs à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Dans son rapport sur le conseil général du Var de 2009 à 2015, rendu public en juin 2016, la Chambre régionale des comptes (CRC) a épinglé les « subventions succinctes et incomplètes » versées à l’ODEL Var. De 2009 à 2014, le département a versé 20 millions d’euros à l’association « sans s’assurer de la réalité de l’intérêt départemental de ses activités », écrit-elle. Les très hauts salaires de ses cadres sont aussi pointés du doigt. De nombreux conseillers départementaux sont liés à l’ODEL, dont des salariés comme Marc Lauriol (canton de Saint-Cyr), qui en est le directeur.
L’ancien élu d’opposition Pierre Coste explique que Sébastien Bourlin aurait « du mal à distinguer ses obligations de maire et ses amitiés ». En 2009, un retraité bénévole qui intervenait à l’école élémentaire Saint-Exupéry de Pourrières, pour faire la lecture aux enfants lors d’un temps hors scolaire, temps sur lequel l’autorité municipale est directement engagée, a été accusé d’attouchements sur mineurs. Bourlin le connaissait bien, si l’on en croit la lettre qu’il a adressée au procureur de la République de Draguignan dans laquelle il tente de défendre l’honorabilité du mis en cause : « Un homme qui m’a vu grandir et pour lequel j’ai la plus grande estime, reconnaissance et amitié. » En 2011, le retraité a été condamné à trois ans de suivi socio-judiciaire pour agressions sexuelles sur six fillettes. Dans son réquisitoire, le procureur s’est dit « désagréablement surpris par l’attestation fournie par le maire de la commune en faveur du prévenu », relate un article de Var-Matin. « À Pourrières, c’est le clientélisme poussé à l’extrême », commente Pierre Coste.
Suite à la publication de cet article, Pascal Granier, frère du premier adjoint au maire et employé municipal à Pourrières, qui a démissionné au printemps 2014 de l’entreprise des Transports Bourlin, a contacté Mediapart, s’étonnant que son cas soit cité dans un article sur l’accident de la navette scolaire. Il explique que cette démission n’avait rien à voir avec l’accident. « J’ai démissionné pour aider ma femme qui a une sclérose en plaque », affirme Pascal Granier. Il précise que son double emploi, à la mairie et au sein des Transports Bourlin, était déclaré et régulier. « Je travaillais à la mairie à temps plein de 8 heures à 17 heures 30, je faisais une navette scolaire de 6 heures du matin à 7 heures 30, détaille-t-il. Je n’ai jamais pris sur mon temps de travail à la mairie pour faire la navette. Et j’étais payé en heures supplémentaires déclarées, sur lesquelles je payais des impôts. Je suis par ailleurs pompier volontaire depuis 32 ans dans la commune. » Se présentant comme un « simple employé », il estime avoir été pris « dans une guéguerre entre le maire Sébastien Bourlin et l’opposition ».
Samantha Rouchard (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)