A Mazaugues, ça sent le safran !
Le soleil estival tape fort dans ce coin de Provence verte. La voiture de Sylvie Minier, ancienne conseillère municipale de Mazaugues (83), s’enfonce dans le chemin de terre qui mène à sa safranerie et surtout à sa caravane, dans laquelle elle vit depuis quatre ans.
Nous avons déjà épluché les dossiers qui animent la vie de ce charmant village niché dans le Parc régional de la Sainte-Baume (Cf le Ravi n°158, « Un village au bord de l’explosion ») : l’implantation de la carrière ; le projet pharaonique de Parc résidentiel de loisirs (PRL) qui fait s’affronter les « pour », avec le maire, et les « contre », organisés au sein du Comité d’intérêt local. Des graffitis « non au PRL du roi » fleurissent dans le village et fin août, une plainte aurait été déposée au pénal (1) contre la mairie par un administré. Mais, pour l’instant, rien qui n’empêche les travaux de démarrer début septembre.
Pas docile
Sylvie Minier fait partie des cinq conseillers municipaux à avoir démissionné depuis l’annonce du PRL, ne cautionnant pas le choix du maire, Denis Lavigogne (LR). C’était en novembre dernier, « lorsque le maire a menti en réunion publique en annonçant que le PRL avait été voté à l’unanimité alors que c’était à la majorité, puisque nous étions deux élus à voter contre », explique-t-elle. Non encartée, vice-présidente de l’association Environnement Méditerranée, elle explique avoir rejoint la liste de Lavigogne pour se battre contre la carrière et militer pour le parc régional. Mais, pas assez docile, depuis quatre ans, le maire (2) lui en fait voir de toutes les couleurs…
À presque 60 ans, en reconversion professionnelle pour des raisons de santé, Sylvie Minier s’oriente vers la production de safran et de spiruline fraîche en bio. Les diplômes agricoles et toutes les autorisations nécessaires à son installation obtenus, elle vend sa maison pour financer son projet et se met en quête d’une parcelle à acheter sur Mazaugues. « C’est là que tout se corse », note-t-elle. On est à la fin du premier mandat, Sylvie Minier fait déjà partie du conseil municipal, mais pour autant des détails la font tiquer. Le maire et son troisième adjoint à l’urbanisme, Bruno Giaminardi, directeur de la fédération de chasse du Var, lui auraient proposé des terres agricoles à 20 euros le m2, qu’elle refuse puisque, renseignements pris, les prix oscilleraient plutôt entre 60 et 70 cts le m2 ! Giaminardi aurait aussi émis l’idée de délocaliser un espace naturel sensible afin de le transformer en terre agricole…
« Au départ je trouve l’idée plutôt bonne car cela pourrait permettre à de jeunes agriculteurs de s’installer », note-t-elle avant de se rendre au cadastre où elle découvre que cette fameuse zone « est entouré de terres appartenant à… Bruno Giaminardi ». Le hasard fait parfois bien les choses à Mazaugues… Elle demande alors des explications au maire qui botte en touche. Finalement, elle achètera les parcelles d’une amie au prix juste. Et là nouvelle surprise : « En défrichant, on découvre que le drain qui récupère l’eau de la Sainte-Baume, a été ouvert et inonde les parcelles sans que l’ancienne propriétaire ne soit au courant », explique-t-elle. Dommage pour le safran qui n’aime pas l’eau, mais bonheur absolu pour les chasseurs puisque l’espace s’est transformé en remise à bécasses. Et il ne faut pas déranger les chasseurs…
Pas assez bécasse
Le maire vante le projet de Sylvie Minier dans sa campagne de 2014. La liste est réélue. Mais douche froide, elle apprend dans la foulée, par le maire et son adjoint à l’urbanisme, que son premier permis de construire – comprenant le local technique, les serres et l’habitation – est refusé : « Ils me l’annoncent avec le sourire et Giaminardi m’invite même à faire un recours au tribunal administratif si je ne suis pas contente », précise l’agricultrice. Elle est ensuite placardisée au sein du conseil : « On refuse que je participe à la commission environnement, et on finit par me mettre dans l’opposition. »
Dès lors, la mairie mène une lutte acharnée contre son installation : quatre permis de construire refusés, jusqu’au désenclavement et l’installation de l’électricité. En 2015, elle retrouve le panneau de son exploitation criblé de balles, elle dépose une plainte restée sans suite pour « dégradation volontaire ». « À ce jour, j’aurais du déjà créer deux emplois en plus du mien, mais au lieu de ça je vis du RSA, dans une caravane avec un groupe électrogène… », déplore l’ancienne élue en nous faisant visiter son bureau installé sous serre où, en cet après-midi caniculaire, la température atteint les 50 degrés ! Philippe Chesneau, ancien conseiller régional EELV qui lui a apporté son soutien, y voit « tout le problème du poids du maire dans nos démocraties, où l’on a réussi à reproduire dans nos structures, le roi, le tout puissant ! »
Mais après quatre ans de procédures judiciaires, l’agricultrice vient de gagner en première instance au Tribunal Administratif concernant le permis de construire et en référé au TGI de Draguignan, concernant les deux caravanes disposées sur son terrain que la mairie lui demandait d’enlever. « J’irais jusqu’au bout », répète-t-elle à l’envi. La commune a deux mois pour faire appel. Mais entre les rebondissements du PRL et les élections partielles annulées en juin pour irrégularité, à réorganiser début octobre, l’édile risque de ne plus savoir où donner de la tête !
1. Nous attendons, à ce jour, confirmation du TGI de Draguignan.
2. La mairie n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews.
Samantha Rouchard
Enquête publiée dans le Ravi n°165, septembre 2018