A l’école des détenus
Tout se déroule comme dans n’importe quelle école. Les élèves entrent dans la classe, saluent le professeur, s’asseyent et se charrient à propos de tout et de rien, des devoirs de la veille à leur quotidien en détention. Le cours de physique de ce jeudi 26 novembre matin est dirigé par Alain Favre, responsable local d’enseignement et instituteur au Centre de détention (CD) de Salon-de-Provence. Sept jeunes d’une même section de CAP général assistent à son cours. La moyenne d’âge est de 25 ans. Presque tous arborent fièrement le survêtement de leur équipe de football favorite. Un seul, plus âgé et plus calme, se détache du lot. Sa barbe fournie lui donne des airs de religieux. Au rythme de 9 heures de cours hebdomadaires pendant un an, les élèves de « m’sieur Favre » passeront en juin prochain l’examen du CAP général. Ce diplôme, unique en France, n’existe que dans le département des Bouches-du-Rhône. Il donne un niveau de base en français, mathématiques, physique et histoire géographie afin de préparer la sortie de prison. Les salles de classe du CD de Salon-de-Provence sont situées dans le quartier socio-éducatif. Les détenus peuvent circuler librement dans cette aile. Les murs jaunes sont flanqués de motifs décoratifs grossiers qui donnent au lieu un côté enfantin.
UNE PARENTHÈSE DANS L’UNIVERS CARCÉRAL
« Mon frère, un proton plus un neutron est égal à deux. » Le cours commence. Un détenu en conseille un autre lors d’un exercice collectif de physique. Les jeunes se lèvent à tour de rôle et vont inscrire leurs réponses au tableau. La bonne humeur remplit l’atmosphère. Ça rit, ça participe, ça commente. Seuls les barreaux aux fenêtres rappellent où l’on est. Plus que le diplôme à la clef, les cours sont une parenthèse dans un quotidien difficile. Une occasion pour les détenus de souffler un peu, de laisser de côté pendant un moment la violence de l’univers carcéral. « Ici il y a le respect, on vient pour apprendre et on se connaît tous. Et puis, Monsieur Favre, il fait ça pour nous aider, il n’est pas obligé », explique Cédric, un « habitué » du CD de Salon-de-Provence qui « rentre et sort souvent ». A l’extérieur de la salle, des détenus se disputent la place pour regarder à travers le hublot de la porte. La présence d’une jolie blonde du service communication du ministère de la Justice, provoque l’émoi. Rien de bien méchant. A l’intérieur, chacun s’efforce de ne pas prêter attention à la scène. Le travail du jour consiste à calculer la masse des atomes ainsi que leurs charges à partir du tableau périodique des éléments. Après des débuts compliqués, les jeunes finissent par recouvrer leur concentration. Ils s’auto-motivent en se moquant gentiment les uns et des autres et ceux qui étaient à la traîne finissent par rattraper le wagon.
Chaque élève possède un livret intitulé « manuel de survie » en physique, avec lequel ils peuvent étudier et réviser. « Le plus dur, c’est de les faire travailler en cellule, explique Alain Favre. Dès qu’ils quittent la salle de classe, ils changent d’attitude et retournent dans l’univers carcéral avec toutes les difficultés que cela implique. » Du coup, il faut sans cesse revoir ce qui a déjà été fait. Si la vie au centre socio-éducatif peut sembler paisible, il en est autrement dans les quartiers pénitentiaires où « l’atmosphère est beaucoup tendue et violente ». Entre deux exercices, les conversations entre détenus dérivent vers une grande variété de sujets. « Il y a un type qui tient 11 minutes dans l’eau sans respirer », affirme l’un. « Mais non, arrête de raconter n’importe quoi toi », réplique son collègue. « C’est pas un humain, t’as craqué ! », ajoute un autre. Eclate alors un fou rire général… Au bout d’1 heure 30 de cours, la classe se termine. Pas plus, pas moins. Au-delà il est compliqué de continuer à capter l’attention. Personne ne semble vouloir vraiment partir. Les questions fusent, les sourires aussi. Difficile d’imaginer que tous ont été condamnés pour des actes graves. Pendant les cours, les détenus sont comme « désamorcés », loin des enjeux et des logiques de la rue ou de la prison. « Quelques semaines avant leur sortie leur attitude change, je peux voir les visages se crisper et je n’arrive plus à travailler avec eux », explique Alain Favre.
LA RELATION PRIME SUR LE CONTENU
Changement radical d’ambiance lors du cours de français langue étrangère de « Madame Cousin ». Le public est plus âgé, les mines plus sombres, les niveaux très différents. Ce matin cinq élèves ont répondu présents, pour presque autant de nationalités. Trois ne sont pas venus. Une absence injustifiée peut jouer en la défaveur d’un détenu lors de l’examen de son dossier par le juge de l’application des peines. « Certains s’inscrivent aux cours juste pour les remises de peine », commente Paul, un détenu hongro-roumain musclé. D’autres parlent déjà bien la langue et veulent écrire correctement. Il y a aussi ceux qui sont là simplement pour apprendre à parler français. Difficile pour Armelle Cousin, professeur certifiée de français, de composer avec des niveaux si disparates. Beaucoup décrochent quand arrive l’exercice de conjugaison au passé composé. « On est là pour la relation avant le contenu. Avant j’enseignais en collège. En prison il y a beaucoup plus d’humain, c’est plus épuisant mais c’est aussi ce qui motive », confie-t-elle. La cinquantaine grisonnante et le regard éteint, Mimoun noircit discrètement sa feuille d’exercice avec la mine de son crayon. Toutes ses réponses sont correctes. Lui voudrait avoir plus de cours. Les deux leçons de français du lundi et du jeudi ne lui suffisent pas : « Je viens en classe pour m’améliorer, pour écrire, lire et comprendre correctement. Pour être indépendant quand je fais des lettres et des demandes. Et puis ça me fait faire quelque chose au lieu de rester dans ma cellule. Je peux lire déjà pas mal de livres. »
Le niveau d’éducation en prison reste très faible. S’il arrive parfois que des détenus préparent un diplôme d’entrée à l’université ou présentent un bac, la lutte contre l’illettrisme est la principale mission des enseignants. « Mon plus beau souvenir, en 21 ans d’enseignement en centre de détention, c’est lorsqu’un détenu m’a avoué que grâce à mes cours il pouvait désormais lire les courriers de sa femme », raconte Alain Favre. « Jamais un incident », « toujours courtois », « attachants »… Les enseignants ne tarissent pas d’éloges à l’égard du comportement en classe des détenus. Et si l’éducation était la clef de la réinsertion ? Modestement, pour ces personnes mises au ban de la société, les cours de l’unité pédagogique leur permettent déjà de se resocialiser à travers la relation élèves-professeurs…
Sylvain Labaune