À Ajaccio, ma cité n’va pas craquer !
Le bus numéro 7 nous laisse aux Jardins de l’Empereur, cité perchée sur les hauteurs d’Ajaccio. Ici, pas de tours démesurées, pas de « chouffeurs » encagoulés à l’entrée, ni de voitures calcinées, seulement des lauriers-roses en fleurs. Pourtant à Noël 2015, ce quartier dit « sensible » mais relativement paisible, jusqu’ici inconnu des continentaux, s’est retrouvé propulsé à la une des médias nationaux, stigmatisé en nouvelle zone de non-droit.
Le 24 décembre 2015 une équipe de sapeurs pompiers est appelée pour éteindre un feu. Fausse alerte, ils tombent dans un guet-apens. Leur camion est caillassé par des jeunes qui veulent en découdre. Deux pompiers et un policier sont blessés. Les jours suivants, manifestations dans les rues d’Ajaccio, certains montent jusque dans la cité, détruisant une salle de prière, et scandant en corse des slogans sans équivoque : « Arabi fora », « les arabes dehors ». Du jamais vu ni entendu dans ce quartier où vit en bonne intelligence une population d’origine marocaine mais aussi corse et depuis peu roumaine et portugaise.
« Aujourd’hui la cité a enfin retrouvé son calme », lance Claudine Tomasi, peu encline à voir revenir la presse. Originaire de Reims, cette figure tutélaire des Jardins de l’Empereur vit là depuis quarante huit ans, dont vingt deux comme présidente de l’association de quartier qui deviendra en janvier 2018 le nouveau centre social. « Je n’excuse absolument pas ces jeunes et ce qu’ils ont fait est impardonnable. Mais je les ai connus petits et il n’y a pas parmi eux de gros voyous », explique Claudine Tomasi. Ils auraient voulu se venger des forces de l’ordre les ayant empêchés, cette année- là, de réaliser leur coutumier feu de Noël, brasier pouvant atteindre des centaines de mètres de haut. Une sorte de battle entre quartiers, à celui qui allumera le plus gros.
Entre fantasme…
Depuis, il y a eu des mises en examen et une trentaine de familles aurait quitté les lieux de peur des représailles. « Il y a des incivilités, de la jeunesse en déshérence (1), mais ici, il n’y a pas de vice ni de méchanceté », précise Manu Pedenon, nouveau directeur de l’association et ancien animateur notamment dans les quartiers Nord de Marseille. « Contrairement à La Castellane (Marseille 15ème), ici, le trafic et le deal ne prennent pas le pas sur la vie des gens. Vous pouvez entrer dans la cité à n’importe quelle heure, il n’y a aucun risque, poursuit-il. Les jeunes m’interrogent souvent sur ce qui se passe dans les quartiers Nord, ils veulent être dans le mimétisme. Je leur réponds qu’il ne s’y passe rien d’extraordinaire… » On raconte que, pendant des années, les gamins de la cité se seraient tenus à carreau de peur de se faire descendre par les nationalistes…
600 logements pour 2200 habitants. Ici pas de HLM, seulement de la copropriété. 61 % de locataires et le reste de propriétaires comme Claudine Tomasi. Des petits immeubles à taille humaine aux noms napoléoniens : Le Lucien, le Lætitia, le Pauline… Et une seule tour de dix étages avec vue sur mer. « C’est un gros village. On y vit bien, on y est tranquille », confit Icham Karaa, la quarantaine, enfant du quartier et depuis peu président du Conseil citoyen. Ses parents sont venus du Maroc pour travailler dans l’agriculture, fin des années 60, à l’époque où la cité voit le jour. Si Icham a épousé une continentale, lui, l’insulaire, veut que ses enfants grandissent ici.
… et réalité.
Le quartier est en pleine rénovation urbaine. L’aire de jeu est en train d’être installée, plusieurs bâtiments sont déjà rénovés et les volets remplacés, les haies sont entretenues, seul le bitume est par endroit défoncé. « Ici on peut facilement trouver un T4 à 90 000 euros », nous assure Icham, soit cinq à six fois moins cher que dans le centre. « C’est bon marché car on a mauvaise réputation », explique Claudine Tomasi. Même si le quartier n’est qu’à vingt minutes à pied du port, la plupart des Ajacciens n’y sont jamais venus. La famille d’Icham a tout un immeuble, chaque membre est propriétaire d’un appartement. « Les plats descendent et montent sans souci», ironise-t-il. Mais désormais, beaucoup de sociétés achètent dans le quartier. Les Jardins de l’Empereur ont une situation géographique enviable et avec la rénovation urbaine, des promoteurs immobiliers misent sur l’avenir.
Cette « mauvaise réputation » n’a pas rebuté Céline Prevost, directrice de la toute nouvelle médiathèque du quartier, qui a choisi d’y vivre aussi : « Ici on va vers l’autre plus facilement. J’ai grandi aux Cannes [Autre quartier populaire d’Ajaccio, ndlr.] et je voulais retrouver cette familiarité », explique-t-elle. Et puis à l’angle du corridor, vit Fanfan Salvini, physique de Depardieu et la gouaille qui va avec. Cet artiste peintre renommé fait venir le monde entier dans sa galerie. Plus jeunes, Icham et ses copains passaient des heures à le regarder peindre. Aujourd’hui l’artiste croque les enfants de la cité et espère les exposer. Il est tombé amoureux de la vue il y a 50 ans et il est resté : « Descendez en ville et vous comprendrez… les piaillements, les hurlements ! Et des gens qui se bouffent le cœur ! Alors qu’ici tout est beauté, calme, luxe et volupté ! »
Samantha Rouchard
1. Le taux de chômage avoisine les 25 %.
Enquête publiée dans le Ravi n°153, daté juillet-août 2017. Pas de presse pas pareille sans votre soutien, abonnez-vous !