2016, l’Odyssée du climat
Les youyous et les « On ne lâche rien ! » résonnent dans la rade de Toulon, ce samedi 22 octobre, sur l’esplanade marine de la Seyne-sur-Mer (83). C’est que deux voiliers pas comme les autres y prennent le large malgré une météo plutôt hasardeuse. L’objectif de cette flottille d’une quinzaine de personnes réunies pour une « Odyssée des alternatives » : après un départ de Barcelone (Espagne) et des escales à Porto Torrès (Sardaigne), Tunis (Tunisie) et Oran (Algérie), rejoindre Tanger au Maroc pour le début de la Cop 22, la conférence mondiale sur le changement climatique, qui se tient à Marrakech du 7 au 18 novembre.
Tout est parti de discussions lors de forums sociaux mondiaux. « Face à l’urgence climatique et en particulier en Méditerranée où on partage plein de problématiques, on a eu envie de porter des solutions concrètes et plus globales. Et pour ça, il faut se mettre ensemble et décloisonner les mouvements », raconte Moncef Guedouar, président de la Fédération tunisienne pour une citoyenneté des deux rives (FTCR). A chaque escale, un « village des Alternatives » est organisé pour créer des liens avec les associations locales. L’idée est de défendre des initiatives à Marrakech, dans des négociations qui portent sur des accords beaucoup moins contraignants que ceux de Kyoto, arrivés à leur terme en 2012. Les porteurs-euses de l’Odyssée « Ibn battuta » appellent notamment à la création d’un « Fonds Climat » de 100 milliards d’euros pour permettre une réelle transition écologique.
Thé 1336 et gaz de schiste
A La Seyne-sur-Mer, une fois les moussaillon-e-s parti-e-s en emmenant le soleil avec eux, les discussions continuent sous les petites tentes des associations et collectifs. Une centaine de personnes a fait le déplacement à cet endroit, place forte des mobilisations syndicales à l’époque des chantiers navals. La mairie a mis des locaux à disposition, contrairement à celle de Marseille qui n’a visiblement pas été convaincue par le caractère apolitique du mouvement… A la buvette, ça discute autour d’un thé « 1336 » de la coopérative Scop Ti des anciens de Fralib. « Il y a pas beaucoup de Seynois-es aujourd’hui, déplore Cyrielle, une sympathisante marseillaise. Ceux et celles qui ont mis cette initiative sur pied sont surtout des gens d’Alternatiba et ils ne sont pas d’ici. Mais bon, ils font tout ça bénévolement donc c’est super ! » Le restaurant d’insertion « Le Petit Prince » de la cité Berthe à La Seyne est quand même là pour reprendre des forces et les enfants d’un centre social de Martigues sont fiers de présenter le film qu’ils ont réalisé sur l’éco-citoyenneté.
Des militants de l’autre côté de la Méditerranée sont aussi présents. Firas Fehrat fait partie de l’équipe qui organise l’escale à Oran. « En Algérie avec le gaz de schiste, l’adage »ce qui pollue le climat écologique pollue le climat social’‘ est encore plus vrai qu’ailleurs, souligne-t-il. On l’a bien vu à In Salah, où beaucoup d’habitant-e-s ont perdu leurs emplois à cause de leur engagement (cf le Ravi n°142). En France, si l’exploitation du schiste ne semble pas à l’ordre du jour, le gouvernement s’en fout si elle a lieu hors du pays. Notre position, c’est »ni ici, ni ailleurs, ni aujourd’hui, ni demain. » »
Douloureuse convergence
A Marrakech, les navigateurs-trices rejoindront la Coalition marocaine pour la justice climatique qui organise un espace autogéré du 14 au 18 novembre, associé à la « Zone Verte dédiée à la société civile et à l’innovation » gérée par le Maroc, parallèlement à la « Zone Bleue » officielle « dédiée aux sessions plénières et événements de haut niveau ». La coalition propose de faire de la Cop 22 « une opportunité pour passer à l’action et bâtir une articulation africaine, méditerranéenne et mondiale des luttes pour un monde de justice sociale et climatique ».
Sur le papier, converger pour le climat en Méditerranée c’est bien, mais dans la pratique, ça n’a pas l’air si évident. Alors que le vent commence à se lever sur la rade de Toulon, les gens de la coordination Pas sans nous (PSN) qui ont fait un détour dans leur tour de France pour faire entendre la voix des quartiers populaires, expriment quelques doutes. « Dans les quartiers, l’écologie n’est pas une priorité et ici, j’entends parfois des choses déconnectées de notre réalité, soutient Fatima Mostefaoui, de PSN PACA. Mais si on veut vraiment la convergence, c’est maintenant ou jamais. Après, il faut voir si les gens qui sont ici aujourd’hui viendront quand, nous, on organisera quelque chose. » Reste à savoir si les navigateurs-trices de l’Odyssée des Alternatives feront le poids face aux puissants intérêts économiques réunis à Marrakech et à leur folie des grandeurs, comme celle du méga-projet marocain de plus grand parc d’énergie solaire au monde qui, paraît-il, fait miroiter ses panneaux « jusque dans l’espace ».
Enquête publiée dans le Ravi n°145, daté novembre 2016