2013, capitale désenchantée
Après plus de 40 entretiens (1) réalisés auprès des opérateurs culturels, des artistes, des politiques, des syndicats, des universitaires, du monde économique et de l’équipe de Marseille-Provence 2013, la réussite ou non de la Capitale européenne de la culture en 2013 demeure une grande inconnue. Cela s’explique certainement par la nature protéiforme de ce projet, à la fois événement culturel, levier de mutation urbaine, programme de développement territorial, objet politique… Mais un sentiment domine très largement, un an avant l’inauguration de l’année capitale : le désenchantement.
Si MP2013 a été instrumentalisée par les politiques, qui s’en sont servis comme d’un oreiller dans une bataille de chambrée, l’équipe de Bernard Latarjet, l’homme qui a fait triompher la candidature puis a dirigé l’association pilotant la Capitale avant de démissionner, a aussi commis des fautes de gouvernance. L’appel à projet de 2008 a d’abord soulevé un espoir immense dans le tissu culturel, qui voyait là un peu d’air et d’espoir, notamment à Marseille où la culture a toujours été rabaissée à un rôle d’animation par Jean-Claude Gaudin. Mais Bernard Latarjet n’a jamais su gagner l’estime des opérateurs locaux, ni celle de la cité phocéenne où il ne s’est jamais résolu à vivre avant de démissionner de son poste.
En s’entourant d’une garde rapprochée, l’ancien directeur a envisagé son travail et le leur comme celui d’un ministère de la Culture, renforçant la défiance des Méditerranéens sur « cette équipe de Parisiens ». Son rigorisme, qui a contribué à faire gagner le label européen, l’a ensuite desservi sur une terre où la passion est érigée en compétence professionnelle. Renaud Muselier, député UMP et délégué spécial 2013 pour la ville de Marseille, n’hésite pas à l’achever : « Monsieur Latarjet a tout réfléchi, imaginé, pensé, mais à l’heure des choix, il est parti. » Une virulence partagée par des élus de toutes tendances politiques incommodés, il est vrai, par l’arrivée d’un nouvel acteur perturbant le train-train d’une gestion clientéliste de la culture et révélant au grand jour la médiocrité de leur bilan.
L’autre difficulté concerne la dimension « provençale » et métropolitaine de la Capitale européenne. Dans les villes moyennes, comme Arles, Aubagne, Martigues, Gardanne, où l’existence d’une politique culturelle a servi de terreau, cela s’est plutôt bien passé. Ce fut moins le cas à Aix, Toulon et Marseille, où la culture n’a pas échappé aux guerres de clochers. Hubert Falco, Renaud Muselier, Maryse Joissains ont chacun joué leur partition, faisant ainsi perdre plusieurs mois précieux. L’affaire Guérini et les appétits pour les municipales de 2014 ont fini par tuer dans l’œuf certains projets comme celui de l’harmonisation des transports, sujet pourtant vital pour les habitants bien au-delà de 2013. Des habitants, pour l’instant totalement désintéressés par la Capitale de la culture, qui va pourtant leur tomber sur la tête dans un an…
Pour ne rien arranger, la crise est passée par là et la culture est toujours la première sacrifiée dans un budget resserré. L’État se désengage, les collectivités locales patinent et les entreprises hésitent à devenir mécènes. Alors, franchement, qui veut encore de la Capitale européenne de la culture ? Jean-François Chougnet, le nouveau directeur arrivé en avril, prend des allures de prêcheur : « Tout cela va se mettre en place à partir de la présentation du pré-programme, le 12 janvier prochain, et de la ventilation des budgets chez les opérateurs. Tout le monde verra alors l’intérêt de tirer dans le même sens. »
En creusant un peu, de nombreuses pépites attrayantes apparaissent déjà dans la programmation (« Métamorphoses », expos Buren, Rodin, festival « This is [not] music », les « Constellations » du photographe Franck Pourcel dans le projet Ulysse…). À Marseille, le musée des Civilisations Europe Méditerranée (Mucem) et le Centre régional de la Méditerranée (Cerem), qui sortent de terre, La Friche de La Belle de Mai qui se transforme, sont autant de sources d’excitation. Certains d’ailleurs n’ont pas hésité à saisir l’opportunité que représente 2013 pour la culture, mais en dehors des sentiers battus. Le OFF qui se prépare à Marseille rencontre de plus en plus d’enthousiasme. On parle même d’un OUT ! C’est bien la preuve que 2013 est quand même attendu avec impatience !
Une enquête réalisée par Louise Fessard (Mediapart) et Stéphane Sarpaux (le Ravi)
(1) Pour lire l’intégralité des entretiens réalisés durant cette enquête, c’est ici !
Pour écouter le débat diffusé sur radio Grenouille, c’est ici.
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