Au Rocher Mistral, les ennuis soufflent en rafales
Un tracteur dont la remorque déborde de bottes de foin serpente sur la petite départementale bordée de champs fleuris. Dans le ciel virevoltent les avions de la Patrouille de France, basés tout près à Salon-de-Provence, qui dessinent des arabesques bleu-blanc-rouge à coups de fumigènes colorés. En contrebas, au détour du virage, plusieurs panneaux placés en enfilade annoncent un grand événement : « Rocher Mistral : ouverture le 1er juillet, La Barben en Provence ». Bâti au XIe siècle, le château de La Barben, monument historique qui menaçait de tomber en ruines, a été racheté en février 2020 par la société SAS La Barben, dirigée par le joaillier parisien Vianney d’Alançon. Voulant restaurer le château et y ouvrir un parc à thème sur l’histoire de la Provence, le nouveau propriétaire se retrouve aujourd’hui contesté par les services de l’État, plusieurs riverains et des défenseurs de l’environnement. Deux recours, dont une plainte au pénal, ont été déposés contre la SAS. Selon la réponse du préfet et du parquet d’Aix-en-Provence, le planning du Rocher Mistral, qui prévoit une ouverture partielle au 1er juillet, pourrait être impacté.
Lors de la présentation du projet, à l’été 2020, tout semblait pourtant radieux. Rocher Mistral avait l’appui des pouvoirs publics et avait noué des partenariats avec plusieurs associations pour mettre en place un projet écologique au sein du gigantesque domaine qui entoure le château. Mais le premier coup de semonce ne tarde pas : à peine quelques jours après la conférence de presse de présentation, l’État met en demeure Rocher Mistral de réaliser des études d’impact environnemental, qu’il n’avait pas daigné joindre à son dossier. La société fait une requête pour être exemptée. Peine perdue : en octobre, Rocher Mistral est forcé de lancer les études. Avec le retard pris durant le premier confinement, l’ouverture de la totalité du parc dès juin 2021, martelée par Vianney d’Alançon, devient impossible. Elle est repoussée à 2022, tout en gardant une ouverture partielle en juillet 2021, recentrée sur le château et ses jardins, avec plusieurs spectacles quotidiens au programme. Mais entre temps, l’opposition au sein du petit village de 900 habitants commence à monter.
« Au Rocher Mistral, ils font tout ce qu’ils veulent ! »
C’est que le châtelain en prend à ses aises, réalisant des travaux sans toujours s’embarrasser de formalisme : « Pour installer la billetterie, des sanitaires et des locaux techniques, ils ont déposé des préfabriqués dans le jardin potager du château et creusé une tranchée pour amener les réseaux, alors que l’autorisation n’est même pas encore accordée », dénonce l’association Bien vivre à La Barben, qui regroupe plusieurs dizaines de riverains. La SAS La Barben a bien déposé le 12 mai une demande de permis de construire, mais a démarré les travaux sans attendre la réponse. Au point que, fin mai, la fédération France nature environnement des Bouches-du-Rhône (FNE 13) porte plainte auprès du parquet d’Aix-en-Provence pour « réalisation de travaux sans autorisation d’urbanisme ».
Toujours pour assurer une ouverture en juillet, Rocher Mistral a déposé deux autres demandes afin de créer des parkings temporaires sur des terrains agricoles. Des dossiers, qui, vu le nombre de voitures envisagé, devraient eux aussi faire l’objet d’études d’impact. « On parle d’un parking de 340 places sur deux hectares. Ça ne devrait pas être autorisé », estime Stéphane Coppey, membre du bureau de la FNE 13. Monument historique, zone Natura 2000, terres agricoles : le château et ses abords sont en effet théoriquement surprotégés. « Pour faire les moindres travaux de toiture sur une maison, il faut attendre des mois pour avoir l’autorisation. Même l’ancienne propriétaire du château, on lui avait interdit plusieurs chantiers, souligne Bien vivre à La Barben. Et là, Rocher Mistral, ils font tout ce qu’ils veulent ! Ça crée de la défiance chez les habitants. Ils se disent “la prochaine fois, mes travaux, je les fais sans attendre la permission”. » Semaine après semaine, le projet devient un sujet de tensions dans le village. La gendarmerie passe une tête lors d’une réunion publique, en juillet 2020, histoire de voir que tout se passe calmement. Les discussions houleuses se multiplient entre l’équipe du château et les riverains ayant rejoint l’association, au point que ceux-ci ne souhaitent pas témoigner nommément dans la presse, pour ne pas s’exposer plus que nécessaire. Sur le chantier, alors que le Ravi furète autour du jardin potager pour vérifier l’avancement des travaux, un jeune homme bien peigné travaillant à la SAS La Barben surgit de sa voiture. « Vous cherchez quelque chose ? Vous êtes sur un domaine privé ! » Deux camps se sont formés et se surveillent.
Bénévoles indispensables
Car après plusieurs mois de travaux, les nuisances potentielles du projet commencent à apparaître, notamment en termes de circulation pour aller jusqu’au château. Rocher Mistral annonce vouloir attirer 300 000 visiteurs par an, autant que la fréquentation du zoo voisin. Dans un document de rétroplanning, la SAS indique même vouloir réaliser des études pour des fréquentations allant de 500 000 à 1 million de visiteurs par an. Les perspectives de retombées économiques, elles, semblent faibles. De la taxe foncière pour les collectivités locales. Mais guère plus, notamment au niveau de l’emploi. Depuis le lancement du projet, Vianney d’Alançon martèle que Rocher Mistral va créer 200 emplois directs et autant d’emplois indirects. Mais son modèle économique, semblable à celui du Puy-du-Fou, repose sur un recours massif à des bénévoles.
« Les bénévoles, ce n’est pas pour ne pas payer de salariés, s’est défendu Vianney d’Alançon dans une interview accordée en mai à la radio chrétienne RCF. C’est même plutôt une contrainte logistique pour un projet comme celui-ci, ça demande beaucoup de coordination. » Dans un article de 2009, la magazine économique Capital évaluait pourtant que ce système permet au Puy-du-Fou de diviser par trois le coût de ses spectacles. Dans le parc à thèmes de la famille de Villiers, le ratio est de deux bénévoles pour un salarié. Au Rocher Mistral, 550 personnes se seraient déjà portées candidates pour être bénévoles, alors que l’entreprise a annoncé au printemps le recrutement de 120 personnes, saisonniers ou permanents, pour la saison 2021. Plusieurs bénévoles ont déjà commencé à s’investir sur le projet, notamment dans la création des nombreux costumes nécessaires aux quatre spectacles quotidiens prévus pour la saison, ou pour des ateliers ouverts au public. Côté spectacle, Rocher Mistral, interpellé par des internautes sur ses réseaux sociaux, assure que « des comédiens professionnels sont dans tous nos spectacles » et que les bénévoles « préparent un spectacle pour l’année prochaine. Ce sera le seul avec des bénévoles ».
« On est dans un projet de tourisme de masse, critiquable à tous points de vue. »
Des gros travaux, des salariés, beaucoup de bénévoles… Le tout « sans faire appel à des subventions », comme l’affirmait à l’été 2020 le directeur général de Rocher Mistral lors d’une réunion publique. La réalité est sensiblement différente : comme l’avaient révélé en février nos excellents confrères de Marsactu, en un an à peine, la SAS a déjà engrangé plus de 6 millions d’euros d’argent public, de la part du département des Bouches-du-Rhône de Martine Vassal et de la région Paca de Renaud Muselier. Au titre de la sauvegarde du patrimoine et de l’accueil aux entreprises. Lors des élections municipales de 2020, le « Puy-du-Fou » provençal figurait en bonne place dans les programmes culturels de plusieurs candidats LR d’Aix-Marseille. Et la mise en avant de la culture provençale chère au Rocher Mistral cadre bien avec l’agenda culturel de la droite locale. Il développe un projet qui s’accorde également avec sa politique du tourisme, reposant sur une forte affluence. Alors que, dans d’autres espaces classés comme le parc national des calanques, on en vient à lancer des opérations de « démarketing » pour faire baisser la fréquentation. Et que les recommandations nationales s’accumulent pour protéger les terres agricoles.
« On est complètement dans un projet de tourisme de masse, critiquable à tous points de vue. Je ne comprends pas que l’État puisse valider ça », dénonce Stéphane Coppey. En mai, la FNE 13 a déposé un recours auprès du préfet pour annuler une autorisation de travaux de restauration sur les écuries du château, où Rocher Mistral veut installer un restaurant en partenariat avec le chef étoilé Gérald Passédat. Et une plainte au pénal pour perturbation intentionnelle d’espèces protégées suite à l’annonce de travaux dans certaines galeries du château, pour aménager certaines scènes des spectacles, qui mettraient en danger des colonies de murins à oreilles échancrées, espèce protégée de chauves-souris.
Compensation écologique
Sur cet enjeu environnemental, comme sur l’artificialisation de terres pour construire des parkings, Rocher Mistral met en avant ses actions environnementales avec la création de vignobles, de ruches, la relocalisation de colonies pour les chauves-souris, l’accueil de moutons, tous prévus dans les terres du château. « C’est une politique de compensation écologique comme en font les grandes entreprises, dénonce l’association Bien vivre à La Barben. Et en plus cela ne concerne que le domaine derrière le château, on ne les verra pas. Les nuisances, en revanche, ce sera pour le village. » L’État, pour sa part, semble fluctuer : tantôt rigoureux, tantôt accommodant. « Quand on voit l’actionnariat de la SAS avec de grandes familles comme Dassault ou Michelin, il y a là une force de frappe terrible, y compris dans les médias », pointe l’association Bien vivre à La Barben.
Devant la mobilisation des riverains et des écologistes, les élus d’opposition commencent cependant à monter au créneau. François-Michel Lambert, député écologiste (LFE) des Bouches-du-Rhône, a adressé, fin mai, une question écrite au ministère de la Transition écologique pour lui demander sa position sur un projet jugé par l’élu « attentatoire à l’environnement », « sans concertation avec les riverains » et disposant « d’un niveau de soutien qualifié « d’indécent » des pouvoirs publics pour un projet privé aux vues strictement commerciales ». Deux candidats de gauche aux cantonales devraient aussi faire un déplacement sur site pour y rencontrer des riverains et des représentants de la FNE. Le début d’un nouveau siège pour le château de Vianney d’Alançon ? Contactée à plusieurs reprises par mail et par téléphone, la SAS La Barben n’a pas répondu aux questions du Ravi.