Moi, Rodolphe Saadé, captain container

« Sapajou ! Moule à gaufres ! Chef de rayon ! Aaaaah, viens-y donc toi, le pirate, Michel-Edouard le Rouge !! Tu crois que tu vas me mettre tout seul sur le dos les hausses des prix au supermarché ? « Je trouve bizarre d’augmenter les factures quand on affiche des résultats de 30 milliards par trimestre. Il ne faut pas laisser passer cette inflation (1)! » qu’il dit, le Leclerc ! On se permet de critiquer les marges de ma CMA-CGM, leader mondial du transport maritime, 110 000 collaborateurs dans 160 pays ! C’est ma faute à moi si le commerce a repris plus fort qu’avant après le confinement ? C’est ma faute si le monde d’après ressemble à celui d’avant, mais en pire ? La décroissance ? La relocalisation ? Macache ! Tout juste note-t-on « une augmentation des trafics régionaux (2) ». Après la mondialisation, la régionalisation !

Béotien ! Bois-sans-soif ! Pilote de panier à roulettes ! Ça exploite des caissières et des agriculteurs, ça tord le cou de ses fournisseurs, ça bétonne pour faire des hypers, et ça vient me donner des leçons ! A moi, 19e place au palmarès des milliardaires français (3), hahaaa on la ramène moins là !! Mon cher le Rouge, tu veux le bien du peuple ? Moi c’est le peuple qui veut mon bien ! Mon défunt père avait eu le nez creux : il avait ouvert son premier comptoir en Chine en 1992, trois ans après Tian’anmen, quand le pays de Mao commençait à devenir l’usine du monde. Faire du fric avec des communistes, c’est pas progressiste, ça ?

Ornithorynque ! C’est vrai qu’il a fallu un petit coup de pouce français aussi. Le grand Jacques, le Chirac, qui a permis en 1996 que la CMA de papa rachète la CGM pour 20 millions de francs, alors qu’elle venait d’être renflouée pour 1,3 milliards en argent public, contre l’avis du ministère des Finances. Mais attends, naufrageur ! On a fait fructifier derrière ! De toute façon, les gens y sont jamais contents. « Quand on perd de l’argent, on est critiqué, quand on en gagne, on est critiqué. Je suis un peu perdu (2). » Qu’on me montre la voie, quoi, bachi-bouzouks !

Et en politique, c’est pareil : les gens y comprennent pas ! « Nous avons un bon président de la République, courageux, qui veut avancer. Il faut l’aider à aller au bout de son histoire (4). » Réformer, réformer, y a que ça de vrai ! Le travailleur français n’est pas assez entré dans l’Histoire… Vous croyez qu’avec une assurance chômage « plus-plus » et la retraite à 60 ans dans le monde entier, j’arriverais à faire 7 milliards de bénéfices en un trimestre (5) ? Bétonnière ! Socialiste ! Regarde-moi avec mon profil longiligne, ma tête de premier de la classe et ma voix à la Trintignant. Tu es le pirate du passé, Michel-Edouard le Rouge ! C’est moi le corsaire du futur, main dans la main avec l’État, gagnant des marchés sur toutes les mers du globe, rachetant entreprise sur entreprise pour détenir toute la chaîne logistique, et faire encore plus de pognon.

Et puis engagé pour l’environnement, bien sûr, qu’est-ce que tu crois ? Objectif neutralité carbone pour 2050, et bim ! Combien d’États sont sur cette pente ! Tout ça grâce à une invention. Où est donc Tryphon ? Tournesol ?! TOURNESOL !! Tryphon, faites-moi plaisir, montrez à monsieur votre invention. Admire et désespère, Michel-Edouard : le porte-conteneurs au gaz naturel liquéfié ! Déjà six bateaux en service sur le Pacifique. 20 % de CO2 en moins, 90 % de polluant en moins ! Quoi ?? Ouais, ouais, ça reste une énergie fossile, mais la moins polluante de toutes ! Ammendonné pour être « zéro émission » je pensais faire des porte-conteneurs nucléaires, mais mes ingénieurs étaient pas convaincus, j’ai pas compris….

Alors oui, dans tout ça, qu’est-ce que je viens faire à vouloir embarquer sur La Provence ? A être prêt à payer 81 millions d’euros pour racheter les parts de Tapie, deux fois l’estimation publique, quatre fois ce que veut mettre cet autre pirate de Xavier Le Libre Niel ? « Ne cherchez pas une raison compliquée : je lis le journal et ça me plaît. La Provence est à vendre, j’ai foncé (4). » Ça promet si Mc Court veut vendre l’OM un jour ! « Il nous a expliqué qu’il ne voulait pas que le journal de Marseille échappe aux Marseillais, ce qui est paradoxal pour quelqu’un dont l’activité est mondiale (6) » qu’ils disent, les syndicalistes du journal. C’est pourtant clair : « Rien ne remplace l’expérience du terrain. Aujourd’hui, si un collaborateur me parle des États-Unis, je peux lui répondre : “Je connais” (4). »

Haha ! Ils vont moins la ramener les rotativistes et les pisse-copie ! Nan parce que les grosses machineries et les claviers azerty, tu parles si je connais. La Provence ce sera pas une bonbonnière sur la cheminée familiale, jamais ! Je veux une nouvelle imprimerie toute neuve ! Un nouveau site internet, une nouvelle appli. Une nouvelle ligne éditoriale ? On verra. Je m’intéresse aux affaires locales. Je suis arrivé à Marseille à l’âge de 11 ans, et papa y a fait construire le siège de la compagnie. Même qu’il a obtenu que son, gratte-ciel resterait à jamais le plus haut de la ville, juste en-dessous de la Bonne-Mère pour faire plaisir à Gaudin ! 2 900 salariés dans la ville (7), le premier employeur privé dans une ville biberonnée à l’emploi public. Alors tu parles que l’actu de ma ville, ça m’intéresse ! Xavier Niel fait jouer son droit de veto sur la vente, la justice me donne raison puis lui donne raison : qu’importe ! Je finis toujours par l’emporter. Car « on peut me dire non bien sûr… Mais pas trop (4) ». Alors, qu’est-ce que tu en dis, capitaine de pédalo ? Prêt à déposer tes armes ? C’est oui, ou c’est non ?? »