A Clesud, le feu passe à l'orange
Pas encore la victoire, mais une première bataille de gagnée. Après un mois d’audition et deux mois de synthèse, l’enquête publique a émis un avis défavorable contre le projet d’extension de la zone logistique Clesud, sur tous ses aspects, aussi bien économiques qu’environnementaux. Une prise de position rarissime : les commissaires enquêteurs concluent généralement à des avis favorables, ou à peine plus sévèrement en les assortissant de quelques réserves. Rien de tout ça ici. D’entrée, la commission démonte les documents fournis par la société Grans Développement, porteuse du projet : données dispersées dans plusieurs dossiers, « ce qui présente une grande difficulté d’exploitation par la commission, et encore plus par le public », avec un texte comprenant « de nombreuses redondances et contradictions ». Plus fort encore, la consultation préalable menée par Grans Développement en direction du grand public « n’a pas été réalisée selon des critères de loyauté et a pu fausser la réponse des populations ».
Train dans l’impasse
Malgré ces difficultés, la commission est catégorique : l’extension de Clesud sur la commune de Grans, dans une zone de 34 hectares jouxtant une réserve naturelle, « ne présente pas de caractère d’urgence, ni d’utilité publique nationale ou même locale ». Et bim ! Car, analysent les commissaires enquêteurs, Clesud n’est pas aussi engorgée que Grans Développement le dit : « Si la zone est saturée par les bâtiments, l’activité réelle est loin d’être totale. » En fouinant sur Internet, la commission a trouvé plus de 600 000 m² d’entrepôt à louer sur la zone début février. Avec même, surprise, une agence qui proposait déjà « à la visite »… les entrepôts à venir dans le projet de Grans. Mêmes doutes sur l’impact du projet en termes d’emploi : si le nombre de 350 emplois induits est jugé « raisonnable », c’est un objectif « loin d’être acquis compte tenu de l’offre et de l’occupation actuelle sur le site de Clesud et les sites environnants ». « Il serait donc plus intéressant, en termes économiques, de s’assurer de la totalité d’occupation des surfaces disponibles avant d’envisager que la construction d’un nouvel entrepôt soit déclarée d’utilité publique. »
L’extension de Clesud n’ayant pas d’intérêt économique majeur, en a-t-elle un pour l’environnement ? Le maire (DVG) de Grans, Yves Vidal, ne cesse de le marteler : grâce à un terminal ferroviaire dédié, le projet permettrait le fameux « report modal » vers le chemin de fer, pour le transport de marchandises. Bétonner des terres agricoles pour le bien de la planète ? Là non plus, les commissaires enquêteurs ne sont pas convaincus. A l’unisson de plusieurs associations opposées au projet, ils notent que le ferroutage « n’est pas quantifié dans le projet, et que cette hypothèse n’existe que pour le dernier kilomètre de trajet, alors que le ferroutage est en déclin dans la Zac de Clesud. Le report de 20 % du trafic poids-lourd vers le rail est largement surestimé au regard de l’absence de contrainte réglementaire et de la réalisation « à blanc » [sans occupant désigné] de l’entrepôt ». Conséquence : les commissaires enquêteurs prévoient une augmentation forte de la circulation tout autour de Clesud, plus encore si l’extension est réalisée avant la mise en service de la liaison Fos-Salon, toujours dans les tuyaux. En ligne de mire : une augmentation de 30 % de la circulation des poids-lourds en heure de pointe, avec un fort impact sur la pollution de l’air.
Double arrosage
Et si, malgré toutes ces réserves, Grans Développement et la mairie voulaient poursuivre coûte que coûte ? En l’état, le projet ne remplit pas ses obligations environnementales, tranche la commission. Le bâtiment B du projet, qui recouvrirait un point de rechargement de la nappe phréatique, pose un gros problème. Pour compenser, Grans Développement proposait de payer pour l’entretien des canaux d’irrigation des exploitations alentour. « Cela permettra de percevoir le paiement qui fait aujourd’hui défaut, mais cela ne doublera pas l’arrosage, puisque les surfaces le sont déjà au titre de la culture du foin. » Une proposition « irréaliste et qui ne sert qu’à justifier les rentrées d’argent ». Quant à la proposition d’arroser ailleurs dans la Crau sèche, les expériences dans ce domaine sont en cours et n’ont pas encore prouvé leur efficacité. Tout aussi impitoyable est le jugement sur les mesures de compensation prévues pour la destruction de la flore et des habitats de plusieurs espèces protégées : les arbres centenaires menacés par le projet « sont irremplaçables », quant à la petite faune, « il n’est jamais certain qu’elle s’appropriera de nouveaux lieux avant d’avoir péri sous les coups des travaux et du déplacement forcé de ses habitats ». Les commissaires suggèrent même carrément d’intégrer au patrimoine environnemental de la Crau les terrains menacés par le projet.
Ainsi habillée pour l’hiver, l’extension de Clesud peut-elle survivre ? Contactée, Grans Développement n’a pas souhaité répondre au Ravi. La mairie assure de son côté que le dossier « est en cours d’instruction », et que « des décisions devraient être prises dans la semaine ». Dès réception des conclusions de l’enquête publique, le collectif Cistude a appelé à renoncer à un projet « mal ficelé, nocif pour l’environnement et comportant des risques importants pour les habitants ». Mais l’avis de la commission n’est que consultatif. Le maire peut tout à fait décider de passer outre. Avec moins de tranquillité : dorénavant, les opposants à l’extension de Clesud ont encore plus de sable dans leurs poches pour gripper la machine.