L’avenir du village de la Mède totalement suspendu à sa raffinerie
Coincé entre l’étang de Berre, l’autoroute et le massif de la Nerthe, la Mède est un village tranquille rattaché à Châteauneuf-les-Martigues (13), « une commune très fragmentée », explique Didier Gidde, conseiller municipal d’opposition (sans étiquette mais encarté Debout la France !) et candidat malheureux aux dernières élections municipales. « Petite » particularité, la Mède abrite une raffinerie Total de 500 hectares, enchevêtrement de ferrailles, de cheminées et de cuves, engoncée au pied de la colline. Sa construction date de 1935, par la Compagnie française de raffinage, l’ancêtre nationalisé de Total. Le petit village de pêcheurs ne va alors cesser de grossir pour fournir la main d’œuvre nécessaire à la transformation de l’or noir (jusqu’à 2 000 employés dans les années 80). « Total a construit ici l’Eglise, un stade, l’école… », raconte Fabien Cros, secrétaire CGT de l’usine.
Nuisances et infrastructures
Quand une industrie nourrit un village, embauche de père en fils, cela laisse forcément des traces. « Ça me ferait mal au cœur si elle disparaissait, confie Corinne Vieira Fernandes, secrétaire de la mairie annexe de la Mède, qui a grandi et fait construire ici. La Mède sans l’usine, c’est plus la Mède. Déjà que la Poste a fermé et que c’est un dortoir… Il n’y aurait plus rien ! Je me dispute avec les gens qui disent que ça pue, que ce serait bien qu’elle ferme. » Parce que oui, une raffinerie, ça fait un boucan d’enfer, ça pue et ça pollue. Ça explose même, comme en 1992, avec six morts à la clé. Des risques industriels qui nécessitent par exemple la mise en place d’un encombrant Plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Mais Total c’est aussi du sonnant et trébuchant : plusieurs millions d’euros pour la commune chaque année. Ce qui lui permet d’être richement dotée en infrastructures, à l’image de la nouvelle « Plaine des sports », à deux pas de la Mède, un complexe sportif gargantuesque taillé pour des villes d’importance nationale.
Dans la rue principale, Arthur tient le bar-tabac depuis trois ans et assure le snacking pour les ouvriers le midi, essentiellement des sous traitants : « Bien sûr, les gens sont inquiets ici. J’ai déjà constaté une baisse d’affluence depuis l’annonce de la reconversion il y a trois ans. » Un peu plus loin, se trouve un restaurant racheté, il y a trois ans aussi, par Sylvie Debar. « On a anticipé, on essaie d’attirer une autre clientèle que celle de l’usine, explique-t-elle. Mais je n’imagine pas le village sans elle, il deviendrait fantôme. Je ne crois pas à son départ. » Beaucoup de retraités sont installés à la Mède et, petit à petit, des actifs qui travaillent sur le pourtour de l’étang de Berre ont remplacé les ouvriers, profitant d’un prix de l’immobilier moins cher que dans le reste de la zone.
Aspirations résidentielles
Et en sonnant aux portes, le constat est souvent le même : qu’elle ferme ! « On nous dit qu’il y aura moins de nuisances avec la bioraffinerie, je demande à voir. En attendant on paie deux fois 2000 euros de taxe d’habitation et de taxe foncière pour avoir la pollution ! », s’énerve Andrea (1), à l’accent espagnol, installée ici depuis 40 ans. « La reconversion, c’est simple, c’est la fermeture. Dès le départ, ce projet n’était pas viable. C’est triste pour les travailleurs mais c’est comme ça », commente Christian, un voisin. Et une fermeture arrangerait bien les affaires des propriétaires comme Corinne Thomas : « C’est agréable de vivre ici, c’est tranquille, c’est joli. Si elle ferme, l’immobilier va grimper ! »
Dans le voisinage, seule une dame, Martine, assure que tout va bien. Son mari a travaillé à l’usine pendant 35 ans : « Aucune nuisance, dites-le bien hein. L’usine nous a fait vivre, elle en fait vivre d’autres, elle ne doit pas fermer. » Et le cégétiste Fabien Cros de s’énerver : « Bien sûr qu’à court terme, les habitants ne voient que des avantages à la fermeture. Ils diront au revoir au service public, à l’emploi et tout le reste ! […] Mais c’est vrai que Total apporte moins d’avantages qu’auparavant, les gens le ressentent. »
En même temps, malgré les menaces de fermeture prononcées en janvier par le PDG du groupe Total (voir page 8), personne n’y croit réellement. La raffinerie continuera a minima d’être un dépôt pétrolier assurent certains. Didier Gidde, l’élu d’opposition, met en avant le coût de la dépollution, « énorme ». Et le service presse de Total, dans un échange par mail quand le Ravi lui demande si ce coût a été estimé, de répondre : « Nous n’en sommes pas là. Comme l’a dit Patrick Pouyanné au Figaro, nous n’en sommes pas là… »
« Châteauneuf-les-Martigues doit réussir sa transition elle aussi et tout le monde a intérêt à travailler ensemble, estime Didier Gidde. La seule fenêtre pour que le territoire se réinvente, c’est sortir du fossile, miser sur un meilleur cadre de vie, une agriculture saine et la mise en valeur de notre environnement. » Le maire actuel (« sans étiquette » divers droite), Roland Mouren, qui soutient la vision de Total, estime quant à lui que la Mède est « le futur quartier résidentiel de sa commune. Avec moins de pollutions, moins de contraintes liées à l’ancienne raffinerie, la qualité de vie va s’en ressentir ». La méthode Coué.
1. Le prénom a été changé.