Réactions en chaîne au Tricastin
Joyeux anniversaire ! Depuis le 12 juin, à 20 kilomètres à vol d’oiseau de Montélimar, 60 km de Valence, 130 km de Marseille, les quatre réacteurs de la centrale nucléaire du Tricastin ont atteint la date fatidique des 40 ans, soit la durée de vie pour laquelle ils ont été construits. Quelques jours plus tard, ce samedi 26 après-midi, des militants anti-nucléaires arrivent par petits groupes, sur la place de Provence, à deux pas du centre ville de Montélimar. Une journée d’action y est organisée, à l’initiative de dix-huit organisations (1) pour réclamer la fermeture d’une des plus anciennes centrales françaises et dire non à l’implantation de nouveaux EPR (réacteurs nucléaires de troisième génération).
EDF entend bien faire fonctionner les vieux réacteurs du Tricastin au moins dix ans de plus. « L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a dit qu’au plan générique, les réacteurs pouvaient éventuellement aller jusqu’à 50 ans, mais maintenant, c’est réacteur par réacteur que l’ASN va se prononcer, explique Alain Volle, porte-parole du collectif Stop Tricastin. Les habitants de la région ne sont malheureusement pas encore assez informés des risques, parce qu’EDF communique de façon très lénifiante. Ici, beaucoup de gens travaillent dans le nucléaire, tous ont l’habitude de passer devant la centrale. Il y a un déni global, c’est pour ça qu’on fait cette manif ici, pour sensibiliser les gens locaux. »
« 40 ans, ça suffit ! »
Sous un soleil de plomb, les militants, parmi lesquels les jeunes sont peu nombreux, se regroupent à l’ombre des platanes en attendant l’arrivée d’une quinzaine de cyclistes, venus symboliquement de Valence, en passant par Cruas, où se trouve une autre centrale nucléaire. Alain Volle, sur une remorque de tracteur rouge décorée par des bottes de foin, prononce un discours fort, ponctué par les applaudissements : « Même si les réacteurs fissurés tenaient bon, quelle assurance avons-nous que la digue puisse résister à un tremblement de terre de grande ampleur ? (Le Tricastin est en bordure du Rhône, Ndlr). La digue fracassée, c’est deux à trois milles m3 d’eau/seconde qui déboulent sur les réacteurs, qui sont noyés et on se retrouve en situation de Fukushima ! » Il évoque aussi les risques liés à la chaleur, et les changements de calculs effectués par EDF afin de minimiser le danger lié aux nombreuses fissures trouvées dans les réacteurs, notamment le n°1 qui inquiète le plus : « Oui, notre souhait de sortir du nucléaire pour voir disparaître ce risque est plus que légitime pour protéger ce territoire et les générations futures ! 40 ans ça suffit, débranchons Tricastin ! »
Repris à tue-tête par plus de 300 personnes, c’est sur ce slogan que démarre la manifestation. Au rythme des batucadas, tous s’élancent vers le centre ville. Les terrasses sont pleines, et la musique favorise l’accueil de la population avec laquelle des discussions s’engagent. « Ça fait longtemps que je tracte, et je trouve les gens très réceptifs, on n’a pas trop de refus catégoriques. C’est peut-être parce qu’il y a eu le tremblement de terre en 2019 [un séisme de magnitude 5,4 qui avait touché la Drôme et l’Adrèche], ça fait réfléchir », se réjouit un membre du collectif antinucléaire du sud-est.
Les slogans s’enchaînent : « Nucléaire cancer ! », « Tricastin, tri-casse toi ! », « Soyons actifs, pour ne pas être radioactifs, soyons acteurs pour ne pas être radio-acteurs ! ». Un sit-in est improvisé autour d’un rond-point. Le nucléaire semble de plus en plus inquiéter, jusque dans les rangs des travailleurs du secteur, face à la « généralisation d’un nucléaire low cost » dénoncée par Stop Tricastin. « On ne sait plus qui fait quoi, il y a des personnes qui viennent et qui n’y comprennent rien ! », s’insurge Paul, un militant venu de Grignan, une commune située à moins de 30 km de la centrale. « Nous sommes en lien avec Ma zone contrôlée, une association de travailleurs sous-traitants qui déplorent eux-mêmes une perte de compétence, d’expertise, explique Alain Volle. A tel point que les travailleurs du nucléaire deviennent des lanceurs d’alertes, c’est récent ça ! »
« Tricastin, tri-casse-toi ! »
De retour place de Provence, les prises de parole s’enchaînent, militants de Greenpeace, un représentant de la Confédération paysanne, et pour finir, Michèle Rivasi. Députée européenne EELV, co-fondatrice de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). « Le mensonge c’est intrinsèquement dans l’ADN du nucléaire !, fustige celle qui fut aussi députée de la Drôme. On ne nous dira rien si jamais il y a un incident. Par contre, les conséquences seront pour nous ! Des cancers, des maladies cardiovasculaires, l’abandon des fermes, des élevages ! » Et d’enchaîner sur le sujet des EPR : « Y a pas plus con qu’un EPR ! C’est hyper coûteux, au début à Flamanville on nous l’a marchandé à 3 milliards, maintenant c’est 5 fois plus ! On devait le démarrer de suite, on a pris plus de 12 ans ! Et la seule référence qu’on a, c’est les Chinois. Maintenant là-bas il y a une fuite et on nous dit que c’est un incident, qu’il n’y a pas de rejets ! Ah bon ? Et les gaz rares, ils vont où ?! Ils augmentent la pression des réacteurs donc on est obligé de les relâcher ! »
En février dernier, 33 élus locaux ont pourtant signé une lettre ouverte adressée au président d’EDF afin de réclamer la construction d’un EPR au Tricastin. « L’EPR en Chine, le seul en service depuis deux ans, a déjà des problèmes techniques, témoigne Roger Spautz, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France. Ça peut être dû à une fissure dans une gaine du combustible. Les réacteurs des EPR sont extrêmement puissants, générant beaucoup de vibrations qui peuvent éventuellement provoquer des fissures dans les gaines du combustible. »
Tous, ici, balayent l’argument de l’emploi, mis en avant par les élus pro-nucléaires. « Les compétences techniques des salariés du nucléaire peuvent demain servir dans d’autres filières ! », affirme Alain Volle. « Avec l’argent qu’on n’utilisera pas pour rénover les vieux réacteurs, on va refaire d’autres types d’énergies, trouver plein de trucs, mais pour ça faut mettre le pognon là-dedans ! », revendique Michèle Rivasi. Vient ensuite le temps des animations, des concerts et des happenings : une corde de 50 mètres accrochée à un faux branchement EDF est tirée par les militants sous les applaudissements. La journée s’achève et Alain Volle est soulagé : « Faire travailler ensemble 18 organisations, ce n’est pas simple ! On est très heureux d’avoir pu les fédérer pour dénoncer et informer ! »
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