Au Tricastin, le réacteur 1 à stop ou encore
Si vous habitez à moins de 5 km de la centrale, vous pouvez prendre la parole. Si vous habitez plus loin, votez à la présidentielle. Jusqu’au 14 février, les citoyens les plus proches de la centrale nucléaire du Tricastin, qui fournit jusqu’à 40 % de l’électricité de Paca, sont appelés à se prononcer dans le cadre de l’enquête publique sur la prolongation de la vie de son réacteur numéro 1. EDF souhaite que son parc de réacteurs 900 MW, prévus pour durer 40 ans, puisse continuer à fonctionner au moins jusqu’à 50 ans voire plus. Le réacteur 1 du Tricastin est le premier de France à passer le cap de l’enquête publique.
Et pour les associations écologistes et plusieurs collectifs de riverains, c’est un de ceux qui posent le plus de motifs d’inquiétude. En tête des préoccupations : les « défauts sous revêtement », très concrètement une trentaine de fissures dans la cuve du réacteur, où se déroule la réaction en chaîne. Elles ont été découvertes lors de la deuxième visite décennale de contrôle, sans que l’on puisse déterminer si elles étaient présentes à l’installation de la cuve ou si elles sont apparues après. EDF et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) assurent qu’elles « n’ont pas évolué depuis vingt ans ». Un avis que ne partagent pas les associations : « Lors de la dernière réunion de la Commission locale d’information [Cli], j’ai posé des questions précises sur l’évolution des fissures. Je n’ai eu que des réponses évasives », dénonce Alain Volle, président de Stop Tricastin et représentant de Greenpeace au sein de la Cli. En cause, entre autres, la méthode de calcul utilisée par EDF pour évaluer la résistance de la cuve et son usure progressive.
En 2020, Libération avait révélé que lors de la troisième visite décennale du réacteur, une nouvelle méthode de calcul avaient été introduite, aboutissant à une marge de sécurité augmentée. Un calcul que valide l’ASN : « La méthode initiale simplifiait en positionnant tous les défauts sur le même plan, en deux dimensions, assure Richard Escoffier, adjoint à la cheffe de la division de l’ASN Lyon. La nouvelle méthode calcule en 3D, c’est plus long et plus complexe, mais plus précis. » Et depuis la découverte des fissures, les contrôles de la cuve ont lieu tous les cinq ans au lieu de dix.
Failles sismiques
Un autre point d’achoppement porte sur la résistance de la centrale en cas de séisme. Située en zone sismique, et à 6 mètres sous le niveau du canal dont elle tire l’eau pour son refroidissement, la centrale est protégée par une digue de 400 mètres de long. Depuis 2017, celle-ci fait l’objet de travaux pour la mettre en conformité avec les normes sismiques post-Fukushima. Mais le 11 novembre 2019, un séisme de magnitude 5 sur l’échelle de Richter frappe le village de Teil, en Ardèche, situé à 50 km du Tricastin. Survenu sur une faille considérée jusque-là comme inactive, ce séisme pourrait entraîner « une réévaluation du risque sismique en France et en Europe de l’Ouest », estime le CNRS quelques mois après.
« Pour le moment, le séisme de référence utilisé dans nos calculs n’est pas changé, et la résistance de la digue n’est pas remise en question, répond Richard Escoffier. Si c’était le cas, nous n’hésiterions pas à faire arrêter les quatre réacteurs du Tricastin, comme nous l’avions fait en 2017 pour lancer les travaux de renforcement. En revanche, nous devons encore réaliser des études pour voir si des failles de surface comme celles de Teil existent à proximité du Tricastin. » Ces études, qui commencent à peine, ne sont donc pas prises en compte dans le dossier présenté à l’enquête publique. « On aura la réponse après l’enquête publique, peut-être même en 2023, peste Alain Volle. On va donc devoir se prononcer sur la protection contre un risque sans avoir tous les éléments d’appréciation. »
Lanceur d’alerte
Le dernier gros point d’inquiétude sur le Tricastin porte sur la culture de sûreté au sein de la centrale. En 2021, le physicien Bernard Laponche, ancien du Commissariat à l’énergie atomique, publie une étude sur la centrale du Tricastin. Il y dénonce sur la période 2010-2020 « des erreurs dans l’exploitation et de manques répétés dans la maintenance » de la centrale. En cause, selon plusieurs associations : le recours d’EDF à la sous-traitance pour rogner sur les coûts, mais aussi une culture interne de dissimulation des incidents. « On voit beaucoup de cas où EDF utilise des euphémismes pour minimiser, ou alors retarde le moment de déclarer un incident, dénonce Charlotte Mijon, porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Au Tricastin on voit les mêmes incidents, comme les fuites de tritium [isotope de l’hydrogène présent dans l’eau de la cuve ou dans les piscines d’entreposage] se répéter sur plusieurs années. Les leçons ne sont pas tirées. »
D’abord dans Le Monde en novembre, puis dans Mediapart en janvier, un lanceur d’alerte, ancien haut cadre d’EDF au Tricastin, a dénoncé une « politique de dissimulation » des incidents de sûreté au sein de la centrale. L’ASN, qui a aussi un rôle d’inspecteur du travail dans le nucléaire, ne partage pas ce point de vue : « Il y a pu y avoir des divergences avec EDF sur les critères de déclaration d’incident. Nous l’avons dit dans des rapports. Nous avons un système pour lancer des alertes en ligne, en tout anonymat. Nous avons fait une investigation au Tricastin, mais nous n’avons pas identifié de dissimulation », assure Richard Escoffier. Hugo a déposé une plainte devant le tribunal judiciaire de Paris pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « infraction à la réglementation relative aux installations nucléaires ». L’enquête publique sur le Tricastin, elle, se termine dans deux semaines. En fonction de ses conclusions et de l’analyse du dossier par l’ASN, des recommandations sur les travaux nécessaires à la poursuite de l’exploitation devraient être rendues publiques d’ici la fin de l’année.
Frédéric Legrand
Nucléaire mon amour
Les Français majoritairement contre, les présidentiables majoritairement pour. Selon un sondage réalisé au début de l’année (1) pour le réseau Sortir du nucléaire, 54 % des Français se disent inquiets face à la production d’énergie nucléaire, et 58 % seraient enclins à voter pour un candidat qui souhaite en sortir. Problème : si Jadot, Mélenchon, Taubira et Hidalgo souhaitent sortir du nucléaire en l’utilisant peut-être encore quelques années comme énergie de transition, ils ne sont pas en tête dans les intentions de vote. A droite et à l’extrême droite, mais aussi au Parti communiste, le nucléaire a le vent en poupe.
« On est dans la surenchère, Marine Le Pen veut même rouvrir la centrale de Fessenheim, alors que le combustible en a été enlevé, soupire Charlotte Mijon, porte-parole de Sortir du nucléaire. Ça devient un marqueur identitaire de la droite : le nucléaire c’est la grandeur de la France, la puissance… » Sans se soucier trop du réalisme des propositions : en présentant en octobre dernier ses scénarii sur l’évolution de la production et de la consommation d’énergie, l’entreprise RTE (Réseau transport d’électricité) soulignait que la prolongation de vie des réacteurs nucléaires au-delà de 60 ans « implique des paris technologiques lourds pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050 ». Un débat technique qu’esquivent les candidats pro-nucléaires : l’intendance suivra !
1. Sondage Ifop réalisé en ligne auprès d’un échantillon de 1 006 personnes selon la méthode des quotas.
F. L.