Les éoliennes à la plage

Au port de pêche du Carro, à Martigues à quelques encablures de la plage, sous un soleil de plomb, les membres de la Commission particulière du débat public commencent leur démonstration. Une carte, une maquette, des flyers, des photographies… Rien ne manque pour attirer l’œil. Malgré le peu de monde, les réactions ne se font pas tarder. « Avec les éoliennes, tous les oiseaux crèvent », lance une passante en levant les bras comme des hélices. Très vite, elle se fait rassurer par une autre dame. Chacun laisse un avis dans une urne transparente. L’un d’entre eux est lisible à travers : « Je ne veux pas croiser des éoliennes quand je vais en bateau aux Baléares. »
L’opportunité d’un parc éolien offshore est l’enjeu du débat public qui a commencé à Saintes-Maries-de-la-Mer le 12 juillet et qui se prolonge jusqu’au 31 octobre. Un tour de la côte se déroule cet été pour sonder aussi bien les habitants que les touristes. Pour cela, une commission particulière recueille les avis pour en faire un bilan à la fin du mois d’octobre. Elle est présidée par Étienne Ballan, une tête qui n’est pas inconnue du Ravi, car il est l’un de ses créateurs. « Je suis ravi que vous soyez là », glisse-t-il lors de la première réunion de proximité à Martigues.
«La Méditerranée est un lieu de vacances, donc un débat national»
Bien que le compte Twitter officiel du débat public affichait un rendez-vous à Martigues le 17 juillet (le post a été supprimé depuis), c’est bien la veille que les discussions ont eu lieu. Ce petit couac communicationnel a peut-être joué à la défaveur de la Commission. Résultat : peu de visiteurs se sont déplacés au marché aux poissons. Et pour cause, c’est à l’abri des regards et au terminus d’un bus peu desservi – qui passe toutes les 40 minutes – qu’a amarré la voiture publicitaire jaune du débat public.
Sur des photomontages, des vues des éoliennes, hautes de 260 mètres, à 25, 35 et 45 km de distance. De quelles plages sont prises les photos ? Aucune indication… Et les animateurs n’en savent rien non plus ! Les animateurs sur place non plus ! « La Méditerranée est un lieu de vacances, donc un débat national », rappelle Étienne Ballan, président de la Commission d’enquête publique. Et ça fait mouche ! Virginie, avignonnaise, venue passer des jours de repos avec ses enfants, se balade sur la plage avec leurs flyers. « Je n’étais pas au courant du débat mobile, mais ça ne me dérange pas de m’y intéresser, sinon je n’aurais pas pris les papiers. » Sa jeune fille d’à peine sept ans ajoute : « Moi ça m’intéresse les éoliennes ! »
Rien de plus symbolique que d’être au cœur du marché aux poissons pour discuter des nouveaux géants métalliques marins avec les pêcheurs. « Ils n’étaient pas contre l’idée de l’éolien, mais ils ne veulent pas que cela gêne leur outil de production », rapporte Mathias Bourrissoux, membre de la Commission. Les intéressés se faisant de plus en plus rares, les animateurs du jour ont décidé de franchir les portes du Cercle Saint-Pierre des pêcheurs de Carro… à l’heure de l’apéro. Tous avec un verre à la main, pourtant réservé exclusivement aux membres du cercle, les membres de la Commission présentent le projet des parcs offshores.
« Je suis arrivée à Martigues il y a trois ans et je n’étais pas au courant de cette installation », lance une dame attablée. D’autres sont bien à jour sur le sujet et n’hésitent pas à exprimer leur avis. « On ne veut plus de centrales nucléaires, alors on fait comment de l’électricité ? On pédale à vélo ? », ironise Marc, retraité artisan habitant la Couronne. Vêtus d’un maillot où est inscrit « Débat public du 12 juillet au 31 octobre », la Commission interpelle son collègue de comptoir, Joël, ancien fonctionnaire à la mairie de Marseille. Pro éolien, il repart avec une poignée de flyers pour sensibiliser autour de lui. « Maintenant qu’on va faire la même chose que vous . Quand est-ce qu’on a vos t-shirts ?», chambre Joël.
Déserté pour cause d’incendie
Une autre réunion de proximité avec les habitants était prévue dans la maison du Tourisme. Mais le feu de forêt qui a eu lieu à quelques kilomètres semble avoir désintéressé les Martégaux des enjeux éoliens. Alors que 300 pompiers combattent les flammes, une petite dizaine de personnes se retrouve à la maison du Tourisme et se présente tour à tour.
Après une brève présentation du projet, les questions sur l’environnement fusent. Comment sont évalués les risques sur la faune et la flore ? Que faisons-nous des zones Natura-2000 (zones naturelles ayant une grande valeur patrimoniale NDLR) ? Face à ses questions existentielles, Frédéric Autric, directeur du programme Éoliennes flottantes en Méditerranée réfléchit et jette un coup d’œil à ses notes, où figure la mention « questions pièges ». Le représentant de l’État savait où il mettait les pieds. « Par définition, une zone Natura-2000 n’est pas une zone d’exclusion de l’aménagement humain, précise-t-il. Nous avons fait une étude bibliographique en juin 2020 pour définir les pré-zones d’exploitation. De plus, l’État sera dans l’obligation de faire un état des lieux d’environnement au début des travaux. »
La France n’a pas encore de recul sur ses fermes offshores pilotes et encore moins sur celle au large du golfe de Fos. Encore en conflit judiciaire avec l’association Nacicca (Nature et Citoyenneté Crau Camargue Alpilles, NDLR) qui a pour vocation de protéger et défendre le patrimoine naturel, les éoliennes n’y sont pas encore en fonctionnement. Une dernière enquête publique s’est terminée le 30 juin dernier et donnera lieu, ou non, à la poursuite du projet. « Est-ce que vous avez étudié les conséquences environnementales de la ferme pilote écossaise mise en œuvre en 2017 ou portugaise dans votre bibliographie ?», questionne Karine Rovira, militante d’Atlernatiba, qui ne se dit pas opposée à l’idée de l’éolien mais pour qui l’impact sur l’environnement est primordial. Le représentant de l’État répond non, mais ne rejette pas l’idée de l’examiner prochainement. « C’est une bonne remarque, souligne Étienne Ballan. Ça pourrait même entrer dans le budget d’inviter les Portugais et les Écossais au débat. » Du monde en plus ne fera jamais de mal à un échange et encore moins aux différentes chaises vides que comptait la salle Dufy.
Prochain rendez-vous en Paca à Arles le 6 août, avec un débat mobile le matin et une réunion de proximité l’après-midi. Site du débat public https://eos.debatpublic.fr/