L’éolien citoyen cherche son souffle
C’est au col de Prorel (05), à 2 400 mètres d’altitude, que les membres de la société d’économie mixte Seve (Soleil Eau Vent Énergie) envisagent d’installer une ou deux éoliennes. « Nous avons choisi ce site parce qu’il a un bon potentiel en termes de vent, mais aussi parce qu’il est déjà aménagé : deux télésièges de la station de ski de Serre-Chevalier y aboutissent. Donc on limite l’impact sur le milieu naturel », explique Antoine Bard, directeur de cette structure créée en 2011 à Puy-Saint-André, dans le Briançonnais.
La Seve a été la première société d’économie mixte en France à rassembler des collectivités, des entreprises et une cinquantaine de citoyens – soit 10% du capital – dans le but de produire de l’énergie renouvelable. Dix ans plus tard, c’est un succès : la société citoyenne produit près d’un million de kWh par an, soit la consommation de 310 foyers (hors chauffage), grâce à ses panneaux photovoltaïques installés sur une vingtaine de toitures de la commune. Elle revend une partie de sa production à Enercoop, le fournisseur d’électricité renouvelable, et verse des dividendes à ses « actionnaires ». Mais elle ne s’est pas encore lancée dans l’éolien.
Éoliennes vs tourisme
Il n’est d’ailleurs pas sûr que le projet du col de Prorel, dont la production électrique doit alimenter les remontées mécaniques de la station de ski, aboutisse. « Le mât des éoliennes fait 53 mètres, et les pales 50 mètres de diamètre. Cela va être compliqué de les acheminer jusqu’au col, s’inquiète Antoine Bard. Même sur la route nationale qui nous relie à Gap, il n’est pas certain que les turbines puissent passer dans les tunnels et sur les ponts. » Mais au-delà des difficultés techniques liées à la montagne et du surcoût qu’elles entraînent, la Seve se heurte aussi à d’autres obstacles : « On parle de ce projet depuis longtemps sur le territoire, mais on sait que la concertation ne va pas être facile. Des habitants trouvent que l’impact paysager est trop important. »
« Le fonctionnement actuel favorise les gros acteurs »
Comme ailleurs en Paca, l’opposition à l’éolien existe à Puy-Saint-André, même s’il s’agit là d’un projet local qui bénéficie au territoire. Au sein d’Énergie partagée, une structure qui soutient les projets citoyens de production d’énergie renouvelable, on fait le même constat de cette levée de boucliers généralisée. « Le principal frein à l’éolien aujourd’hui en Paca, c’est la peur que le paysage soit défiguré, alors qu’une partie des gens vivent du tourisme, confirme Alice Alessandri, responsable de la région Sud-Paca. Les élus locaux ne veulent même pas se lancer, ils ont trop peur de l’opposition citoyenne, avant même qu’elle ne s’exprime. » Elle cite le cas de la montagne de Lure, près de Forcalquier, où le collectif citoyen qui veut monter un projet local pour contrer le parc éolien « industriel » prévu à cet endroit doit déjà d’abord faire face aux anti-éoliens.
Enercoop, partenaire d’Énergie partagée sur de nombreux projets citoyens, a fini par renoncer à faire émerger des projets éoliens en Paca. « Nos collègues en Bretagne n’ont pas besoin de chercher, les gens viennent à eux avec des projets », témoigne Jérôme Lelong, responsable du pôle production et l’un des fondateurs d’Enercoop. « Ici, non seulement la culture des projets citoyens est moins développée, mais en plus l’éolien suscite des réactions épidermiques », déplore-t-il.
La loi de la jungle
Au-delà de cette opposition quasi systématique à l’éolien, Jérôme Lelong pointe aussi les barrières financières. « La phase de développement du projet, qui comprend notamment toutes les études d’impact pour obtenir un permis de construire, coûte environ 100 000 euros pour un parc photovoltaïque au sol, contre 300 000 pour un parc éolien qui produit la même puissance. Elle dure environ quatre ans pour le photovoltaïque contre une dizaine d’années pour l’éolien », détaille-t-il. Le risque financier est donc beaucoup plus grand avec l’éolien.
Les gros opérateurs, plus à même de faire face à de potentielles pertes, se trouvent ainsi privilégiés. Le fondateur d’Enercoop regrette qu’il n’existe pas de mécanisme public de soutien pour le petit éolien, et décrit un cercle vicieux : « Comme il n’y a pas vraiment de modèle économique et donc pas de marché pour le moyen ou petit éolien, les constructeurs qui ont tenté de développer des “petites” machines se sont cassés la gueule. Du coup aujourd’hui il est très difficile de trouver des éoliennes de moins de 50 mètres de haut. »
C’est au contraire la course au « toujours plus grand » qui est encouragée : les candidats des appels à projet lancés par l’État sont triés en fonction de la compétitivité des tarifs du kWh de leur futur parc éolien. Ce qui pousse à construire les plus gros parcs possible pour pouvoir proposer les prix les plus bas. « Le fonctionnement actuel est très capitalistique. Il favorise clairement les gros acteurs de l’éolien », poursuit Jérôme Lelong.
Autant dire que la démarche d’Enercoop et d’Énergie partagée, visant à accompagner les citoyens pour qu’ils « deviennent acteurs de la transition énergétique », risque de rester marginale encore quelques années. En particulier en Paca, où l’enthousiasme pour les nouveaux moulins à vent n’est pas débordant… Et où la sortie de l’âge industriel, dans le domaine de l’éolien, ne semble pas encore en vue.