Un débat flottant
Assis en demi-cercle sur un coin d’herbe odorante, ils et elles sont une bonne vingtaine à écouter religieusement Olivier Labussière. Le géographe, chargé de recherche au CNRS et membre du laboratoire Pacte à Grenoble, parle du « tournant anthropologique » que représente l’implantation durable d’éoliennes offshore, alors que la mer est « l’espace public par excellence ». Il convoque Gilles Deleuze et Bernard Stiegler pour décrire le « défi démocratique » auquel nous sommes confrontés, alors qu’une transformation majeure de la nature est en cours. « Une technologie peut être à la fois un remède et un poison », avance-t-il, face à un auditoire captivé, malgré le soleil lourd de cette matinée du 9 septembre.
On oublierait presque qu’il s’agit d’un temps de concertation publique portant sur un projet de parc éolien flottant au large du golfe de Fos-sur-mer. L’implantation d’ici 2026 d’une ferme éolienne d’une vingtaine de machines d’une puissance de 250 MW, auxquels doivent s’ajouter 500 MW supplémentaires quelques années plus tard. Selon le ministère de la transition écologique, qui ne donne pas d’échéance précise, le projet pourra fournir in fine près de 6,6 TW, soit la consommation annuelle électrique de 60 % de la population de Paca.
Le cadre bucolique est en fait le parking de l’incinérateur Everé, point de départ d’une randonnée dans la zone industrialo-portuaire, autour de l’anse de Gloria. Orchestrée par l’association Le Bureau des guides et organisée dans le cadre du débat public sur ce projet colossal (1), elle rassemble des représentants de l’État, du port, des collectivités locales, des pêcheurs et d’associations écologistes et vise à « produire de l’intelligence collective ». « Ces moments sont très enrichissants », commente Marc Fabre-Cartier, l’un des participants, venu aussi aux deux balades précédentes. Informaticien retraité d’Arcelor-Mittal, il est aujourd’hui membre d’Alternatiba. « Il y a une écoute apaisée des uns et des autres alors que le sujet est très clivant, souligne-t-il, en cheminant le long de la route du Quai minéralier. À Alternatiba, on considère que l’énergie éolienne est une bonne chose si ça fait baisser la part du nucléaire et des énergies fossiles. Mais ce qui est très important, c’est la sobriété énergétique. Autour de Martigues, beaucoup de gens ont peur de la perturbation des écosystèmes, d’autant qu’ils sont nombreux à pêcher et à chasser. »
« On manque d’information sur l’impact sur la biodiversité »
A l’occasion d’une pause au bord de l’eau, en face des porte-containers et des grues géantes, Thomas Sérazin, représentant des pêcheurs professionnels d’Occitanie, prend la parole. « Pour l’instant, les pêcheurs sont contre les parcs commerciaux d’éoliennes, pose-t-il, tranchant avec l’absence de prise de position des autres intervenants. Les parcs pilotes, qui doivent permettre d’avoir un retour d’expérience, n’ont pas encore été lancés. Et les seuls qui existent aujourd’hui sont au Portugal et en Ecosse, où les espèces ne sont pas les mêmes qu’ici. On manque donc d’information sur l’impact. »
Si un effet « récif artificiel » est aussi possible, les inquiétudes des pêcheurs sont multiples. Les chaînes qui vont ancrer les flotteurs des éoliennes aux fonds marins risquent de faire du bruit et de soulever des sédiments, et ainsi faire fuir les poissons. Les câbles de raccordement peuvent créer des champs électro-magnétiques susceptibles de déranger certaines espèces, comme le thon rouge.
Ce décalage entre le calendrier des fermes pilotes et celui des fermes commerciales, dont l’attribution aux entreprises exploitantes doit être décidée fin 2022, est l’une des interrogations centrales des participants au débat public. « Les fermes pilotes devraient être mises en service en 2023, et les parcs commerciaux ne le seront pas avant 2026. Donc ça laisse le temps d’avoir un retour d’expérience », assure Frédéric Autric, directeur du projet Éolien flottant en Méditerranée pour la Dréal Occitanie, représentant du ministère de la Transition écologique. En cas d’atteintes trop importantes à la biodiversité dans les fermes pilotes, il affirme qu’il sera tout à fait possible d’arrêter le projet. Une promesse à laquelle les pêcheurs ont beaucoup de mal à croire.
Un scepticisme partagé par Anthony Olivier, de l’association Nacicca. C’est le recours de cette association camarguaise de défense de l’environnement contre la ferme pilote Provence Grand Large qui retarde sa mise en service. Le Conseil national de protection de la nature estime que le projet comporte des risques importants pour les oiseaux et chauve-souris migrateurs, qui traversent la Méditerranée dans cette zone à l’automne et au printemps. « Certaines de ces espèces sont déjà en déclin », assure le naturaliste, qui se dit « déçu » par les réponses obtenues lors des moments de concertation. On nous dit qu’il faudrait attendre le retour des études sur les trajets migratoires des oiseaux… Mais qu’on n’a pas le temps. »
Avant de conclure la marche, les participants pique-niquent sur des tables dressées sous les éoliennes du port minéralier. Le Bureau des guides offre tartinade et coup de rouge. L’ambiance est sympathique, mais chacun-e repart avec son idée sur les futures éoliennes flottantes. Celle avec laquelle il ou elle est arrivé-e le matin.
1. La concertation a débuté le 12 juillet et s’achèvera le 31 octobre. Pour la suite du programme : www.debatpublic.fr.