"Vous allez nous traiter d'hérétiques"
18:45
Vicissitudes de la vie de parent journalope : le Ravi arrive en retard, un bon quart d’heure après le début du conseil municipal. Sur le parking de la halle Léo Ferré, qui accueille la séance pour cause de Covid, un camion pizza est déjà en plein service. Séance en présentiel, pas d’accréditation à retirer ni de justificatif à fournir : enfin une démocratie locale accueillante !
18:50
Le conseil a été installé en plein milieu du terrain de sport. Avec le froid des derniers jours, ça caille sévère. Les élus ont droit à des lampes infrarouge (dont un tiers de défectueuses pour l’opposition), la presse à des chauffages électriques, le public à rien du tout.
18:55
Dans le public, une mamie au plaid à motifs panthère commence à tousser sévèrement.
19:00
Hervé Granier, tout nouveau maire LR dans cet ancien bastion ouvrier et communiste, félicite… la CGT. « Elle porte un projet complet pour maintenir et développer l’emploi sur la centrale de Gardanne », estime le maire. La partie de la centrale qui emploie du charbon, production historique de la ville, devra fermer sur décision de l’État. Entre 70 et 100 emplois directs sur le carreau. Un nouveau coup de massue après la fermeture des mines en 2003. « L’association des travailleurs de la centrale, qui préfigure une société coopérative, nous a demandé 1 000 € pour commencer à lancer des études. Nous invitons d’autres collectivités locales à soutenir ce projet. » Adopté à l’unanimité.
19:16
Jimmy Bessaih (DVG), prof d’économie au lycée agricole de Valabre, tire la sonnette d’alarme : « La résidence étudiante est dans un état inquiétant : isolation et chauffage défectueux, wifi défaillant… Les étudiants doivent parfois se lever à 3 heures du matin pour avoir un peu de bande passante et envoyer leurs travaux. Le lycée accueille des gens de toute la France, c’est toute la réputation de la ville qui est en jeu ! » « Nous avons entamé des discussions sur ce dossier avec le bailleur, et aussi sur le campus Charpak [école des mines] », assure mollement le maire.
19:19
Rapport sur les refacturations de services municipaux à la régie des eaux du pays d’Aix. « Il faudrait mensualiser les factures d’eau sur Gardanne, pointe Kamel Bendjeguellal (LFI). Pour le moment c’est semestriel et ça tombe en décembre, ça fait des grosses sommes à payer en plein pendant les fêtes de Noël… »
19:21
Un des deux policiers municipaux de garde au conseil s’isole pour passer un coup de téléphone, mais se fait griller par l’imparable écho de la halle Léo Ferré.
19:24
Hervé Granier appuie son effet : 1,9 million de l’aide aux communes, votée pour Gardanne par le département des Bouches-du-Rhône, n’avait pas été utilisé par l’ancienne majorité. « Martine Vassal nous a accordé le prolongement du contrat d’aide et nous a laissé le choix de comment l’utiliser. Par cette décision, elle nous témoigne sa confiance. Nous allons consacrer cette somme à un plan de rénovation d’urgence de nos groupes scolaires. Suite à un audit réalisé en octobre, nous allons lancer une première tranche de travaux pour un total de 1 100 élèves. » Les écoles ex-communistes de Gardanne seraient-elles aussi vétustes que celles ex-LR de Marseille ? Claude Jorda (PCF) monte en contre : « L’aide aux communes, elle existe depuis bien avant Martine Vassal ! C’est bien qu’elle poursuive cette démarche… » Guy Porcedo (DVG), lui aussi ancien adjoint du maire (PCF) historique Roger Meï, descend en défense : « À ce jour, on n’a eu aucun document faisant état du danger imminent dont vous parlez ! » « Des portes coupe-feu inexistantes, des vitres pas aux normes, pas d’isolation, pas d’eau chaude dans tous les sanitaires… Je mets les études à votre disposition ! », cingle le premier adjoint Antonio Mujica. « Il a juste été constaté que vous avez oublié de dépenser 1,9 million. Mais ce n’est peut-être pas important pour vous… », tacle froidement le maire. Qui rebondit sur les études : « Ce sera publié, vu que c’est votre bilan ! »
19:32
L’autre policier municipal se tortille sous l’effet d’une crampe à la jambe gauche.
19:35
Débat sur le « pacte » qui doit fixer les orientations de reconversion pour la centrale thermique. Hervé Granier, qui est pour, se veut solennel : « Les associations environnementales et les comités d’intérêt de quartier sont contre, ils auraient préféré le démantèlement complet du site. Mais il faut préserver notre identité industrielle. Notre territoire sera exemplaire sur les énergies renouvelables, les déplacements doux et l’économie circulaire. » Dans un silence soudain total, Claude Jorda casse l’ambiance : « Vous allez nous traiter d’hérétiques, mais nous allons voter contre ce pacte. Nous ne partageons pas votre enthousiasme. En deux ans de négociation, rien n’a avancé. » À bout de bras, il brandit deux documents : « Le projet de Gazel Energie [propriétaire de la centrale] se résume à quatre pages A5. Il repose sur la partie biomasse de la centrale, qui a connu de nombreuses malfaçons et n’a jamais pu être testée. Les propositions des salariés font seize pages A4, reposant sur leur savoir-faire. Et pourtant le pacte a rejeté ces propositions ! » Sur les bancs de la majorité, Michel Marastoni, ancien mineur, bondit : « On est pas enthousiaste de signer ça ! On est pas des béni oui-oui, on a connu la fermeture de la mine ! Je m’énerve pas ! J’ai pas l’habitude de parler en public ! ». « Le plan social tel qu’il est proposé est inacceptable, reconnaît le maire. Mais si on laisse faire, ils seront libres de fermer la centrale quand ils veulent. En signant ce pacte, on prend de quoi financer les études alternatives… »
19:52
Alice Musso, élue DVG, s’emmêle les pinceaux entre deux structures municipales dans son intervention sur le pacte : « Désolée, je suis fatiguée, je dis n’importe quoi », reconnaît-elle avant de corriger son discours. Guy Porcedo prend date : « Nous votons le pacte mais avec une vigilance très exigeante. Non pas envers vous, mais envers les conséquences. »
20:00
Le pacte est adopté par tous les élus municipaux sauf le groupe PC-LFI.
20:07
À l’occasion d’une délibération concernant l’office de tourisme, l’adjoint à la culture Arnaud Mazille-Hagobian se rengorge et salue l’opposition : « Notre office du tourisme est, comme vous l’avez souligné, chef de file dans le département pour le tourisme industriel. Et il pourrait même devenir chef de file pour tout le tourisme du pays d’Aix ouest ! » Tout en s’essuyant les crampons au passage : « Nous y avons voté des travaux, il n’y avait pas de toilettes ! » Guy Porcedo tonne : « C’est utile, ça ? On était sur une unanimité… Je regrette. Vous êtes jeune, tournez-vous vers l’avenir ! »
20:15
Le maire lève le camp : « Bonnes fêtes de fin d’année. Restez prudents ! » Rangeant leurs affaires, les journalistes évaluent l’ambiance : « – Avant, ça clashait plus ! – Bof, surtout en période électorale… » La police municipale n’attend pas l’évacuation de la salle : « C’est bon, on décolle ! »
20:30
Le plumitif du Ravi, sur la route du retour dans sa voiture autopartagée d’entreprise bobo gauchiasse, écoute une radio de service public. « Nous sommes tous plus ou moins traversés par la façon néolibérale de gouverner, et nous y participons, souligne la philosophe Barbara Stiegler. Il nous faut en même temps faire notre autocritique, et affronter les gens qui assument jusqu’au bout des positions néolibérales. » Sous la lumière de la lune, les fumées des dernières usines de Gardanne encore en fonctionnement montent en colonnes, ondulant sous le vent.
De bas en haut, dessinés par Trax : Hervé Granier, le maire LR ; Claude Jorda, conseiller municipal d’opposition (PCF) ; Guy Porcedo, conseiller municipal d’opposition (divers gauche).