Aérodrome d’Eyguières : quand Pons pilote…
Le vent souffle sur le parc naturel des Alpilles. En bordure de départementale, l’aérodrome d’Eyguières. Covid oblige, pas le moindre avion à l’horizon. Seul bruit ? Le troupeau qui broute l’herbe entre les pistes. Mais, sur cet aérodrome, il n’y a pas que des moutons, en atteste la fronde contre le projet du maire (DVD) Henri Pons. Pourtant, lui qui accueillait en 2008 à bras ouverts le futur sénateur Jean-Noël Guérini (ex-PS) fait office au conseil départemental des Bouches-du- Rhône comme à la Métropole de monsieur « mobilité » de Martine Vassal (LR). Mais, en outre patron de la Régie des transports (RDT 13) et administrateur à la RTM, dès qu’on quitte le plancher des vaches, ça tangue.
De fait, avant même le coronavirus, pour les aéroports, ça ne volait pas très haut. Au Castellet, les pertes ont doublé de 2018 à 2019, flirtant avec le million d’euros. À Avignon, l’aéroport, porté à bout de bras par la Région, vient de perdre sa dernière compagnie. A contrario, jusqu’à peu, le ciel à Eyguières était dégagé. Propriété de l’État avant d’être cédé à la ville en 2006, l’aérodrome, avec 8 clubs, 200 engins et un millier de licenciés, totalise 35 000 mouvements par an. Depuis 93, il était géré par l’association des utilisateurs de la plate-forme aéronautique de Salon-Eyguières, l’Aupase : « Une gestion bénévole et non-commerciale, avec un budget annuel de 40 000 euros grâce aux autorisations d’occupation temporaire. Ce qui ne nous a pas empêché de faire 700 000 euros de travaux. »
Smartdrome et jet privés
Mais, opticien, Pons voit loin et grand. Exit donc l’Aupase. Idem pour la famille qui gérait depuis trente-cinq ans la piste de karting qui jouxte l’aérodrome et qui, évincée, bataille en justice depuis des années contre la mairie. Lors du conseil municipal du 30 novembre, l’édile devait mettre en place une société d’économie mixte d’un budget de 40 millions d’euros et confier la gestion de l’aérodrome (pour vingt-cinq ans) au seul candidat qui s’est manifesté, le groupe NGE, un poids lourd du coin du BTP. Pour en faire un « aérodrome grand public et loisir », il ambitionne de « fidéliser les usagers actuels du site » et « développer des activités et des actions en direction d’autres publics ».
Au programme ? Réaménagement des pistes, des hangars, des pistes de karting, installation de panneaux solaires, d’un restaurant… NGE parlant même de « Smartdrome », l’équivalent de la Smartcity pour un aéroport ! Mais le projet, financé à 80% par emprunt, interroge. Par exemple, le restaurant « ouvert de 9 à 21 heures du lundi au dimanche » avec un loyer annuel de « 84 000 euros » : « Même sur le cours Mirabeau à Aix, c’est moins cher ! », note l’opposition. Idem pour la location des hangars (30 000 euros par an) bien au-delà des anciens tarifs : une centaine de pilotes a déjà prévu de lever le camp.
NGE compte tirer un tiers des recettes du photovoltaïque. Mais « sur nos hangars, sauf à les renforcer, ce sera compliqué d’installer des panneaux. Vu le vent ici, on a aussi des doutes sur les ombrières. Et poser des panneaux au sol à proximité d’un aérodrome, en cas de crash, c’est la mort assurée », alerte un pilote chevronné. Qui, en entendant parler de « montée en gamme » et « allongement des pistes », grimace : « Ils veulent attirer les jets privés. Or, ici, pour de tels engins, c’est compliqué. En face, il y a la montagne. Et avec Marignane et les bases militaires de Salon et d’Istres, le ciel est déjà bien encombré. »
Des espaces naturels protégés
Le maire a été interpelé par écrit par l’élue d’opposition – et contrôleuse aérienne – Audrey Touron. Et s’est vu demander par le chef de file des opposants, Frédéric Pujante, de communiquer deux études. En 2018, un cabinet de Gap préconise de « ne pas détruire l’existant » et de « mener un travail de concertation » : « Il est nécessaire de prendre en compte la réalité des usagers actuels et leur permettre une poursuite dans leur activité. » Une voie guère suivie par Pons, l’Aupase ayant été jusqu’à proposer 500 000 euros pour racheter l’aérodrome.
L’autre étude, de 2017, qualifie d’ « important l’ensemble des contraintes » environnementales du site : Natura 2000, parc naturel des Alpilles, réserve des Coussouls… Axel Wolff, du Conservatoire des espaces naturels (CEN) Paca, prévient : « Bien que la mairie ne nous ait pas sollicité, on est attentif. Même en dehors de la réserve naturelle, tout aménagement sera très compliqué. Et allonger les pistes, installer du photovoltaïque, c’est hors de question, j’en mets ma main à couper. On a bloqué des projets dans des milieux moins remarquables. » En rappelant que le CEN a attaqué lorsqu’ont été réalisées de simples aménagements en bout de piste. Au passage, certains se demandent si NGE ne s’intéresserait pas tout bonnement au terrain : « Ici, les cailloux, une fois concassées, font un très bon support de revêtement et sont très prisés », note Agir pour la Crau.
Le groupe ne nous a pas répondu. Pas plus que le maire qui se distingue pourtant – paraît-il – par son « franc parler ». Mais, nous confie sa binôme au CD 13, Maussane Marie-Pierre Callet, élue à Maussane, « alors qu’on doit repartir ensemble pour les élections, on n’a même pas eu le temps d’échanger ! » L’opposition n’est pas surprise. Interrogé par la revue spécialisée TPBM, l’édile n’a pas répondu au Syndicat des architectes qui dénonce le choix d’un « marché global de performance » – l’équivalent des fameux PPP (partenariats public/privé) pour la construction d’une maison de santé. « Mieux », le maire refusera – par écrit ! – à un élu d’opposition, Didier Nal, de consulter les documents techniques relatifs à la démolition d’une école. Quand Pons pilote, c’est la croix et la bannière pour échanger !