Yes we camp casse la baraque !
Pour l’entre-deux tours des municipales, la télé marseillaise Tabasco Vidéo avait prévu une programmation spéciale. Soudain, le Covid ! Projections annulées et fermeture du lieu où elles devaient se tenir : Coco Velten, immense bâtiment porte d’Aix où cohabitent des personnes hébergées par le Groupe SOS, des adeptes du co-working, le tout sous la houlette de Yes We Camp (YWC), spécialiste des « espaces communs temporaires ». Qui, avec le confinement, a dû fermer sa cantine.
Coup dur pour cette association à l’origine du camping à l’Estaque de la « capitale de la culture » en 2013. « C’est leur Woodstock, clame Stéphane Sarpaux du Off. Ils ont fédéré des gens qui avaient tous un grain mais aussi des compétences. Quand le soufflet est retombé, ils ont voulu rester dans ce trip. Mais on est à Marseille. Tu crois que tout est possible. Mais non !»
D’où, poursuit-il, « un changement de modèle. Et d’échelle. Une centaine de salariés, 5 millions de chiffre d’affaire, ils répondent à des appels d’offres, sont présents dans des villes comme Paris avec les Grands Voisins, dont s’inspire Coco Velten. Il y a toujours l’égalité salariale, un fonctionnement avec 50 % de subvention et 50 % d’autofinancement mais on est passé de la 2CV au 33 tonnes. D’où une crise de croissance. »
Avant la fermeture en juin des Grands Voisins et le 1er anniversaire de Coco Velten en mai, YWC recrute : un « chargé des partenariats financiers », un directeur administratif et financier (dont les « conditions et rémunération » seront « à définir ») et un stagiaire pour la com’ d’une association « audacieuse et créative » qui transforme des « espaces définis en micro-territoires ouverts, généreux et créatifs ». Et qui a lancé un diplôme « Espaces communs ».
Pour le directeur Nicolas Destrie, « c’est une année d’évolution. On a failli arrêter. “Vous n’avez pas le droit”, nous a-t-on dit. Mais chaque mois, il y a 180 000 euros de salaires à trouver. Et, avec nos partenaires publics, entre les promesses et les enveloppes, il y a des déceptions. On revient donc vers ceux qui nous ont sollicités. Et, sans rentrer dans un schéma pyramidal, on va fonctionner avec une équipe plus resserrée pour le pilotage. »
Si YWC, lors d’AG mêlant salariés et bénévoles ou de séminaires d’une semaine, se questionne, la structure, elle aussi, interroge. En tête ? « Coco Velten par Yes we Camp : la médiation sociale nouvelle est arrivée », de Christophe Apprill (1). Une charge de ce membre de Pensons le matin, un collectif de chercheurs qui a observé YWC de l’intérieur : « Ils nous ont d’emblée qualifié de « poil à gratter ». On a été leur bonne conscience. Car, s’ils ne sont pas contre la contradiction, on est dans un rapport de force et ils sont en position dominante. La critique, elle est forcément perçue sur un mode négatif. Alors qu’eux, ils sont dans l’action, ils font des choses ! »
Celui qui a suivi YWC jusqu’à Venise n’est pas tendre. Pour lui, sa fonction essentielle, c’est « remettre en valeur du foncier déprécié » dans des quartiers où « il n’y a pas vraiment le désir, sinon pour la com’, de travailler avec les habitants ». Une structure, d’après le sociologue, qui « en mélangeant hébergement, services et culture, participe de la dépolitisation du social. Et ce, dans la joie et la bonne humeur. En “mode projet”, en parlant, avec cette nouvelle langue de bois, de “gouvernance partagée”… »
Destrie se défend : « Avec notre diplôme, on “open-source” tout ! On n’est pas là pour faire du fric mais porter des projets d’intérêt général. À des coûts inférieurs, à bien des acteurs ! Après, c’est un grand écart permanent. Coco Velten, facteur de gentrification ? Face à la ségrégation, je crois en la cohabitation. On a installé un centre d’hébergement là où personne ne voulait ajouter “de la misère à la misère”. Ne nous trompons ni d’ennemi ni de cible », dit celui qui a été marqué par « la jungle à Calais, la ZAD, la Plaine ».
Soupir d’une petite main de Foresta, la friche des quartiers nord de YWC : « Ici, ils n’ont pas fait la même erreur qu’en 2013, en s’installant à l’Estaque sans prendre contact avec les habitants. Il y a eu un vrai travail en amont. Ça ne les empêche pas d’être vus comme des Parisiens ! » Nicolas Dupont, de Tabasco, ne comprend pas les critiques : « Mieux vaudrait ne rien faire ? Ils apportent une vraie plus-value. Même si ça ne marche pas aussi bien qu’on le pense. Il y a peu de participation des habitants. Mais l’entre-soi ne tient pas qu’à eux. Et puis, on a affaire à des jeunes qui, pour le Smic, se donnent à fond ! »
Pour Christophe Apprill, « il y a, à YWC, un esprit de corps. Avec l’idée de faire corps. Y compris en investissant les corps », souligne celui qui, à Venise, décrit ces trentenaires blancs célibataires jouant à « piou-piou », un « colin-maillard » pour adultes. Et d’ajouter : « S’il y a peu de réflexivité, c’est parce que la structure attire des jeunes qui y trouvent des manières de fonctionner qui leur conviennent car ils ont été formés pour. »
Emmanuel Moreira, un ancien de Radio Grenouille, n’en a pas moins réalisé, à la demande de YWC, une sorte d’audit radiophonique : «Ils savaient mon expérience à la Friche comme ma méfiance. En immersion sur plusieurs mois à Paris et à Marseille, j’ai pu recueillir la parole de tout le monde. » Il n’occulte donc pas les « tensions entre résidents et salariés ». La « méfiance » des « acteurs de terrain face à une structure temporaire ». Et pointe les « limites ». « Cette cantine hyper-excluante où il y a un vrai problème d’homogénéisation culturelle ». Et celles, plus profondes, d’une association tiraillée entre « militantisme, salariat et financements publics… » Mais, pour lui, la réussite, « c’est d’avoir permis l’installation d’un centre d’hébergement d’urgence. Des structures d’ordinaire cachées, isolées. Là, on est en plein centre-ville. Avec des moyens à disposition. Il faut entendre l’enthousiasme des travailleurs sociaux !»
Sauf qu’en ce moment, ce qui remonte (2), c’est la grogne des acteurs de terrain en voyant Coco Velten rouvrir sa cantine et concocter « 400 repas » distribués aux sans-abris : « Oui, on a l’aval de la Préfecture et accès à la banque alimentaire, reconnaît Théo, un salarié de YWC. Mais ce ne sont pas eux qui nous ont demandé, c’est nous qui nous sommes proposés. Personne n’est payé, on est tous au chômage partiel. Y a une urgence, on lance un truc, on regarde ce qui fonctionne. C’est notre manière de faire. » Et c’est peut-être là le problème…
1. hal.archives-ouvertes.fr/hal-01960549
2. https://mars-infos.org/desertion-instrumentalisation-du-5004