Distribution, piège à c…
L’affaire a fait grand bruit. Début mai, L’Équipe Magazine se penche sur l’homophobie dans le sport. En une, deux joueurs de water-polo s’embrassant. Un kiosquier refuse de distribuer le titre ! Depuis, il a été suspendu. Un dérapage qui pourrait devenir la norme ? Peut-être.
La question de la distribution de la presse est suffisamment électrique pour que le ministre de l’Intérieur italien accuse la CGT d’avoir bloqué la distribution du Point qui affichait sa frimousse. Le syndicat a démenti, expliquant que le blocage n’a rien à voir avec le contenu, Marianne n’ayant pas été distribué non plus…
le Ravi a lui aussi connu quelque retard quant à sa mise en kiosque. Car, depuis plusieurs mois, le SGLCE CGT se mobilise contre la réforme de la distribution qui vient d’être adoptée au Sénat et qui sera examinée en juillet à l’Assemblée.
Pluralisme dans le viseur
Pour Didier Lourdez, du SGLCE, « cette réforme, c’est la mort de la loi Bichet qui, depuis plus de 70 ans, régit la distribution. Et assurait le pluralisme ». En effet, au regard des difficultés de l’opérateur historique – Presstalis – la solution envisagée est, ni plus ni moins, l’ouverture à la concurrence. Jusque-là, le système était des plus encadrés avec, schématiquement, une solidarité entre petits et gros éditeurs. Et ce, sous le contrôle du CSMP et de l’ARDP (le Conseil supérieur des messageries de presse et l’Autorité de régulation de la distribution de la presse).
Outre le remplacement de ces instances par l’autorité qui régulait jusque-là les télécoms (l’Arcep) et au-delà de l’arrivée d’un nouvel opérateur, ce que pointe la CGT, c’est le fait de laisser davantage de choix aux marchands de journaux quant aux titres qu’ils vont pouvoir ou non distribuer : « Certes, il y aura obligation de distribuer la presse d’information politique et générale (Ndlr, comme le Ravi). Mais, pour le reste, les marchands de journaux vont pouvoir, au nom de la rentabilité, choisir ce qu’ils distribuent. »
Soupir de Thierry Guillen, de la SAD 13, la société de diffusion basée à Marseille : « On se remet à peine d’un plan à l’issue duquel il y avait eu regroupement des sociétés de diffusion. Voilà pourquoi on couvre désormais presque tout le sud-est. On craint donc le pire. Et pas qu’en interne. Qui nous dit que les plus gros éditeurs ne finiront pas par décréter que ça coûte trop cher d’aller livrer au fin fond de la France tel ou tel titre ? A part les leurs, bien entendu… Aujourd’hui, tout est remis en cause. Et les salariés comme les petits titres sont en première ligne. »
Concurrence renforcée
Laurent Gandy, responsable de la diffusion chez Kap’Media, qui épaule le Ravi dans sa distribution, est lui aussi critique : « Le but, c’est avant tout de sauver les quotidiens. Mais avec une approche assez paradoxale. D’abord parce que les « petits » se retrouvent à payer pour les « gros ». Mais aussi parce que si tous les diagnostics tendent à pointer, comme source des difficultés, la forte concurrence entre les opérateurs, la solution préconisée c’est de… renforcer cette concurrence ! »
Sa crainte ? Voir « le ticket d’entrée pour être distribué grimper, en particulier pour les nouveaux entrants. Parce qu’on se focalise sur les quotidiens. Mais le pluralisme et ce qui fait vivre le secteur, ce sont aussi les nombreux titres spécialisés ». Et de se souvenir qu’il y a quelques années, « les marchands de journaux avaient la possibilité de retirer de la vente un bimensuel après un mois et demi, comme s’il était resté trop longtemps en vente. Résultat : ceux qui avaient opté pour cette solution ont vu leur chiffre d’affaires baisser. Le problème, ce n’est pas qu’il y a trop de titres. C’est une crise plus profonde ».
Le ministère n’a de cesse de calmer les inquiétudes. Sans véritablement y parvenir. En témoigne cette saillie de Franck Riester, le locataire de la rue de Valois, ironisant dans L’Express pour calmer le chaland : « Des magazines sur les râpes à fromage peuvent être imposés aujourd’hui aux marchands de journaux. Eh bien le marchand de journaux ne sera plus obligé de vendre ce magazine-là, qui n’a pas grand-chose de crucial. » Après vérification, nous n’avons trouvé aucune trace de publication consacrée à cet ustensile. A l’heure de la lutte contre les « fake news » et autres « infox », ça la fout mal.