Le Super cafoutch, ça va hyper marcher ?

Dans un énorme local de 600m², rue Chevalier Roze à quelques mètres à vol d’oiseau du Vieux-Port marseillais, quelques gabians prennent l’apéro du dimanche soir. C’est le nom donné aux 750 coopérateurs de la première épicerie coopérative marseillaise. Après le lancement d’un Mini cafoutch en avril 2018, l’ouverture d’un Super cafoutch, d’abord espérée en juin, est prévue en septembre prochain. Son principe : chaque membre donne trois heures de son temps par mois et consomme en échange des « produits de qualité sans se ruiner », en privilégiant le local, le bio, l’équitable mais pas que…
A son arrivée, chaque gabian doit contribuer une fois à hauteur de 100 €, soit dix parts de la coopérative dont il devient copropriétaire. Les bénéficiaires des minimas sociaux, les moins de 26 ans et les étudiants ne souscriront qu’une seule part à 10 euros. Eva Chevaliez est présidente des « amis du Super cafoutch », association à l’initiative du projet. Même si l’objectif est de recruter deux salariés à la rentrée qui exerceront 20 % des missions du Super cafoutch, elle souligne que « le reste se fera entièrement avec des coopérateurs multi-tâches ». Mais l’ancienne ethnologue précise que « comme dans tout projet, tout le monde ne s’investit pas au même niveau en fonction des envies de chacun ».
Une organisation horizontale
Ce dimanche de mai, Françoise s’active, le pantalon encore plein de peinture, sur le chantier participatif pour réhabiliter le futur local du Super cafoutch : « J’avais plus de temps libre alors je me suis dit qu’il fallait en faire quelque chose. Ici, je rencontre des gens et mon panier est moins cher que dans les grands magasins bio. » Le Super cafoutch s’inspire de La Louve à Paris, ouverte en 2016, avec aujourd’hui quelque 6 000 coopérateurs.
Munie de son cahier rouge, Joss, une retraitée, insiste sur la dimension coopérative du projet. Six comités sont dédiés à des sujets précis comme l’approvisionnement ou la vie sociale du lieu. Des tables rondes permettent aux représentants de chaque groupe d’échanger toutes les trois semaines. « J’ai dû tout apprendre, comment tenir une caisse, gérer le système informatique, raconte Joss déjà investie dans le Mini cafoutch. Heureusement on a des cahiers dans lesquels chaque procédure est expliquée. »
Concernant l’aménagement du nouveau local, la coopératrice a sa petite idée : « On va avoir un espace libre de toute vente, un tiers-lieu, au fond du magasin. J’aimerais bien qu’un artiste vienne graffer l’un des murs. Mais bon, je suis l’une des seules à être d’accord avec l’idée. C’est tout le principe d’une organisation horizontale ! »
Ça cafouille encore
Le projet reste encore un pari car le Super cafoutch est loin d’être à l’équilibre financier, malgré de nombreux partenaires institutionnels, et un prêt de 100 000 € via France Active. Avec la crise sanitaire, des coopérateurs ont perdu l’habitude de venir. Pour que l’activité soit soutenable, il faudrait que 2 000 gabians consomment régulièrement.
Des réunions sont organisées chaque lundi pour tenter de convaincre de nouvelles personnes de se lancer. La coopérative a aussi bénéficié de dons de particuliers. Yvon, jeune développeur web insiste : « Notre coefficient de majoration est de 1,25. Aucune autre enseigne ne fait ça ! En plus, ici il n’y a pas d’arnaque, on sait où ont été achetés les produits et à quel prix. » La marge de vente est plafonnée à 25 % du prix initial du produit…
« C’est la proposition d’une alternative crédible à un modèle capitaliste qui m’a intéressé » poursuit Yvon, investit dans le comité informatique. Comment garantir un supermarché inclusif avec des prix bas tout en veillant à la provenance des produits vendus ? « Il faut faire des choix, explique-t-il encore. Le paquet de pâtes premier prix se trouvera aussi dans nos rayons avec d’autres produits dits conventionnels. En revanche, on ne vend pas de coca-cola par exemple, ça serait contraire à notre modèle. Après, tout peut se discuter en table ronde… »
Le chantier a pris du retard. Les devantures manquantes ne permettent pas de sécuriser le lieu ce qui a contribué à retarder l’ouverture du lieu. L’entreprise Enedis n’a toujours pas fourni le local en électricité, il est donc relié à celui de la copropriété et réduit au strict minimum. Les travaux sont conduits la semaine par des professionnels et les chantiers participatifs du week-end permettent aux gabians de faire les finitions.
Même si les « food coops » partagent leur modèle économique pour favoriser le lancement de nouveaux projets, il n’existe pas encore de fédération française. Yvon imagine de nombreux développements possibles du Super cafoutch : « Utiliser ici la monnaie locale, la Roue, pourrait faire sens. Ou encore, toujours dans l’idée d’être inclusifs, nous devrions penser à un système de livraison pour les personnes ne pouvant pas se déplacer… » Créer du lien social, favoriser une consommation plus écologique, donner naissance à un projet participatif, chaque coopérateur a une motivation différente. Pour que le Super cafoutch déploie ses ailes, reste aux Marseillais à s’y investir afin de reprendre le contrôle de leur caddie et de leur assiette.