Pour ne pas baisser le rideau, les boutiques lèvent la barrière du parking
Trônant au rez-de-chaussée d’un bâtiment flambant neuf en métal ocre, face aux ombrières de même facture qui abritent le marché du mercredi, la Fnac se prépare au choc du « Black Friday ». De l’autre côté de la place Morgan, dans le vieux centre-ville, les commerçants indépendants ont eux aussi décidé d’entrer dans le jeu de ce week-end de super promos. « On est tous sur le pont, c’est peu un pied de nez aux sites de vente en ligne ! », rigole une vendeuse. Pas d’inquiétude apparente derrière les caisses enregistreuses : depuis plusieurs années, à Salon-de-Provence, municipalité et professionnels travaillent de concert pour protéger les boutiques du centre-ville. Au point de devenir une référence pour la Chambre de commerce et d’industrie Marseille Provence quand elle rencontre une autre commune voulant sauver ses petits commerces.
Sur le papier, pourtant, Salon était menacée : à l’actif, une population de 44 000 habitants et un bassin d’emploi plutôt solide, entre la base aérienne et la zone industrielle et portuaire toute proche ; au passif, la grande zone commerciale de Vitrolles à portée de voiture et, depuis 2017, un « village des marques » à 15 minutes du centre-ville, proposant toutes les grandes griffes d’équipement de la personne à prix cassés. Mais sous les municipalités successives PS, UDF puis LR, Salon s’efforce de maintenir les grandes galeries commerciales à distance. Une stratégie qui permet d’attirer en ville des boutiques de franchises. « Le consommateur a envie de standardisation, constate Michel Roux, premier adjoint au maire de Salon et vice-président de la métropole Aix-Marseille. Mais si on laisse une galerie commerciale se créer à côté d’un hypermarché, on tue le centre-ville. Une fois que les clients prennent l’habitude de faire leurs courses en périphérie, ils ne reviennent plus. »
Alerte « très élevée »
Deuxième axe de développement : un accès reconfiguré, avec piétonisation du centre ancien, parkings relais gratuits en périphérie avec navettes gratuites, arrêt minute gratuit en hypercentre durant un quart d’heure. Pas forcément très écolo mais nécessaire, face à une clientèle qui habite pour partie en campagne et ne peut totalement délaisser la voiture. Troisième axe : une grande implication de la mairie dans les ventes de fonds de commerce. « Ce n’est pas systématique, mais on hésite pas quand c’est nécessaire à utiliser notre droit de préemption, pour attirer certaines enseignes. La dernière fois c’était pour faire venir les Calissons du Roy René et Pimkie », se souvient Michel Roux. Dernier étage du gâteau : des événements pour animer le centre-ville.
Mais si Salon tire son épingle du jeu, les autres centres-villes de Paca n’en mènent pas large. Selon une étude menée en 2017 par les agences d’urbanisme de toute la région, « 80 % des centres anciens présentent un taux de vacance [commercial] trop élevé. Et pour un centre sur deux, les commerces et les services aux particuliers se portent mal ». Avec la mise en place d’un cycle infernal : les ménages les plus aisés habitent et consomment en périphérie, causant la fermeture des commerces de proximité, et entraînant encore plus d’habitants à consommer ailleurs. La dégradation progressive du logement dans les centres anciens aggravant encore le phénomène. Selon l’étude, six villes seraient à placer en alerte « très élevée » : Tarascon (Bouches-du-Rhône), Grasse (Alpes-Maritimes), Carpentras, Orange, Bollène et Valréas (Vaucluse). Quinze autres, dont Marignane, La Ciotat et Istres (Bouches-du-Rhône) seraient en alerte « élevée ». L’inquiétude est particulièrement forte dans les Bouches-du-Rhône, où 70 % des communes disposent d’un hyper ou supermarché de plus de 300m2, quasiment deux fois plus que dans les départements limitrophes.
« Personne ne venait plus »
Aux pieds du Garlaban, Aubagne est dans ce cas : cernée entre un Géant Casino à l’ouest et un Auchan à l’est, son centre-ville s’est déplumé en quelques décennies. « Quand j’avais 18 ans, il fallait jouer des coudes pour traverser la rue Rastègue », une des principales rues commerçantes, se souvient Patricia Reynaud, artisane-créatrice et secrétaire de l’association Cap, qui regroupe 100 commerçants aubagnais. « Puis ça s’est vidé progressivement, personne ne venait plus. » En 2015, la municipalité LR-UDI signe avec la chambre de commerce une convention pour redynamiser le centre-ville. Et commence par une refonte des espaces publics. « Il y a eu un gros travail pour refaire la voirie et les trottoirs, souligne Patricia Reynaud. Devant ma boutique, j’en ai eu pour cinq mois de travaux. Les gens reviennent petit à petit, ils disent qu’ils redécouvrent le centre-ville. » Comme Salon, Aubagne a misé sur un accès plus facile au parking en centre-ville avec arrêt minute, heures offertes par la mairie et les commerçants. En parallèle, la CCI incite les commerçants à développer leur présence sur Internet, notamment via des formations en référencement et en vente en ligne.
Mais qu’elles soient en ligne ou en pied d’immeuble, la redynamisation commerciale des centres-villes ne passe pas que par les boutiques. « Les centres anciens constituent des héritages urbains et culturels dont certaines villes ne savent que faire », tacle l’étude des agences d’urbanisme de Paca. « Les centres-villes ont besoin d’un parc de logements diversifié, sinon ils se paupérisent », rappelait la CCI lors du renouvellement de sa convention avec Aubagne à l’été 2018. Parallèlement à sa politique commerciale, Salon a de longue date lancé une politique de réhabilitation de l’habitat et plus largement du bâti dans son centre ancien. Pour les autres communes en état « d’alerte élevé », ce dossier, qui fait figure de priorité, est désormais géré par la métropole.