Sur le marché, le retour des petits arrangements

Patient et déterminé. Il est 6h30, Mohammed Benazouz tente de négocier avec le placier. Le forain souhaite récupérer son ancien emplacement, le numéro 205. Ce mardi 3 mai, le marché de la Plaine, haut lieu marseillais de contestation, fait son grand retour après trois ans et sept mois de travaux. Et de tergiversations. Mohammed a passé vingt-cinq années à vendre des baskets les jours de marché. Désormais son arrêté, attribué par la mairie, n’est valable que le samedi mais il tente quand même sa chance. Il apprend qu’une place est libre juste à côté car le forain titulaire est malade. Mohammed monte rapidement dans son camion jaune pour s’installer chez son voisin, ni vu ni connu : « Si tu veux avoir quelque chose ici tout est dans la force. »
Durant les années d’absence, les forains de la Plaine ont été répartis entre les marchés du Prado et de la Joliette. Le manque de concertation les a poussé à manifester plusieurs fois leur colère. La dernière fois c’était le 12 mars dernier. Autour d’un café, ils sont tout de même contents de se retrouver. Kamel vend des cosmétiques depuis toujours. Il est heureux de revenir même si la Joliette lui convenait. « Là-bas c’était plus petit et la Plaine restera toujours mythique donc je suis bien là, souligne-t-il. Mais ils avaient dit qu’on garderait nos places et finalement j’ai dû changer. Je fais partie des anciens moi, mais j’ai l’impression que ça ne compte pas. »
Joyeuse anarchie
Qui dit nouveau marché dit nouvelles règles. En théorie. Les exposants ont chacun six mètres pour déballer. Avec les macarons à leur nom, ils s’identifient à l’entrée du marché. Lequel a désormais également pour objectif d’être « zéro déchet » pour en finir avec les sacs plastiques dans les arbres, emblème de la place Jean Jaurès. Roland Cazzola, conseiller municipal délégué aux emplacements sur le pont dès l’aube, se réjouit du retour du marché tout en reconnaissant certaines « anomalies ». Les forains sont exonérés de taxe sur les ordures ménagères. En échange, ils s’engagent à ne rien laisser après leur départ. Les sacs plastiques devront être remplacés par des emballages recyclables. « Si ces règles ne sont pas respectées nous remettrons la taxe sur les ordures ménagères à la charge des forains », menace l’élu.
Mais les traditions marseillaises ont la vie dure. Lorsque Roland Cazzola commence sa déambulation pour aller voir chaque stand, il réalise vite que certains dépassent les limites imposées. D’autres ont prêté leur macaron à des connaissances pour leur permettre de s’installer. « Il réprimande des gens mais c’est juste pour l’allure », explique Ahmed en colère. Lui est journalier depuis 2015, c’est-à-dire qu’il n’a pas de place définitive et compte sur le désistement d’un des forains fixes pour avoir un jour son propre emplacement. Les journaliers peuvent faire une demande d’emplacement tous les trois ans.
En finir avec les sacs plastiques
« Quand quelqu’un part il vend sa place à un ami, donc moi je peux patienter encore longtemps, même si je suis quatrième sur la liste », confesse Ahmed. Les forains journaliers interpellent Roland Cazzola qui leur explique que ceux avec un ancien Kbis, le document officiel qui attribue un emplacement, sont privilégiés par rapport aux nouveaux. « Pour les autres on demande de l’indulgence, c’est une semaine crash-test on va rectifier le tir » promet le délégué aux emplacements. Tout vient à point à qui sait attendre…
La Plaine se trouve à l’intersection de trois mairies de secteur. Dont les trois maires, tous membres du Printemps marseillais, sont présents ce matin pour clamer leur satisfaction. « La réouverture du marché marque la fin du projet de requalification de la Plaine tant attendu ! », se réjouit Didier Jau, le maire (EELV) des 4ème et 5ème arrondissements. Une riveraine l’accoste, préoccupée de savoir si cela marque également le retour des sacs plastiques volants : « Qu’avez-vous mis en place pour être sûr que la place ne redeviendra pas une poubelle à ciel ouvert ? » Le maire tente une blague : « On va interdire le mistral les jours de marché. »
Plus sérieusement, la ville annonce l’embauche de quatre jeunes en service civique pour faire de la prévention en matière d’écologie auprès des forains. Mais, ce jour de réouverture, pas de trace de l’équipe écolo sur le marché. Il va falloir sûrement attendre encore un peu…