Quand ça veut pas banquer
« Nos 15 salariés sont en chômage partiel, nous avons fait une demande de PGE de 300 000 euros dès le mois de mars, mais à ce jour notre banque ne nous a donné aucune réponse malgré nos relances », s’inquiète Annie, responsable administrative et financière d’une start-up marseillaise. Pour venir en aide aux entreprises suite aux conséquences économiques du Covid, le 16 mars dernier, Emmanuel Macron annonce la création de prêts bancaires garantis par l’État dits PGE à hauteur de 300 milliards d’euros. Le principe est simple, l’État garantit à 90 % l’argent prêté aux entreprises et les 10 % restants sont pris en charge par les banques, avec l’appui de la Banque publique d’investissement. En Paca, mi-mai, plus de 44 000 prêts avaient été accordés, soit environ 5,4 milliards d’euros. La région se classe en quatrième position. Selon une enquête réalisée par l’Ordre des experts comptables de Paca après deux mois de pratique, 70 % des demandes auraient reçu une réponse positive, 3 % une réponse négative et comme l’entreprise d’Annie, 26 % étaient toujours en attente.
La douche froide
La CMA CGM, leader mondial du transport maritime et de la logistique, a obtenu un prêt de 1,05 milliards d’euros, garanti à 70 % par l’État. A moindre échelle, Fanny, administratrice d’une agence de com et d’une boîte d’audit, dit n’avoir rencontré aucun problème pour obtenir les prêts de 60 000 et 35 000 euros demandés. Mais les deux entreprises pour lesquelles elle travaille n’ont ni problèmes de trésorerie, ni antécédents d’impayés auprès de leurs banques et aucun crédit déjà en cours. « Ça a pesé dans la balance », souligne-t-elle. En effet, le PGE n’est pas là pour sortir de la mouise une entreprise qui y était avant le corona mais pour donner un coup de pouce à celles qui fonctionnent. « Et ça le client a du mal à le comprendre. Passé l’effet d’annonce du gouvernement, c’est un peu la douche froide », souligne un banquier. Annie le reconnaît, sa start-up a déjà un prêt en cours dans une autre banque que celle où elle a fait sa demande de PGE et aussi deux mensualités de retard. « À chaque mail, notre conseiller nous demande de fournir de nouveaux documents. C’est sans fin. Nous ce que l’on veut c’est une réponse, même négative. On doit savoir si on doit licencier ou pas », poursuit-elle.
Les petites associations, notamment celles de l’économie sociale et solidaire, sont peu nombreuses à avoir fait une demande de PGE. « Ceux qui pilotent ce genre de dispositifs [comme aussi les fonds Essor ou Covid Résistance de la Région. Ndlr] pensent que c’est hyper simple et accessible. Mais pour les petites structures sans accompagnement et sans moyens humains pour monter les dossiers, avec des pièces complexes à produire, c’est très compliqué », souligne Sam Khebizi, directeur des Têtes de l’Art et administrateur de la Chambre régionale des entreprises de l’économie sociale et solidaire (Cress Paca), qui explique qu’il a fallu batailler avec les cabinets pour que les associations soient intégrées aux dispositifs. « Mais ce n’est pas dans la culture associative que de prendre un prêt. Il y a donc un problème de cible et d’outillage, poursuit-il. Par ailleurs, bien souvent, les associations attendent d’être dans l’urgence pour réagir. Pour beaucoup d’entre-elles, les signes de fatigue se feront sentir pendant l’été. »
Pour les petites structures déjà fragiles, la simple demande du report de charges de trois mois, notamment des échéances de prêt, est un vrai parcours du combattant. « On n’a pas droit au même accueil que les grosses structures, on sent qu’il y a plus de peur », explique la directrice d’une association socio-culturelle des quartiers nord de Marseille qui s’est vue refuser un PGE et par la suite un report de ses mensualités de prêt en cours. Son activité est à l’arrêt, et elle n’a aucun financement public. « C’est la liquidation qui se dessine », souligne la directrice qui dort très mal à l’idée de devoir licencier mais aussi de laisser sur le carreau des usagers qui comptent sur elle, dans des quartiers abandonnés par les institutions. « Le Covid est venu fragiliser ceux qui étaient déjà les plus fragiles. Et on sait que seuls les plus forts seront sauvés », se désole-t-elle.
Hors la loi
le Ravi aussi a bien failli ne pas obtenir de report de prêt. Les modestes 173 euros d’échéances mensuelles de la Tchatche, l’association qui édite le journal, ne risquaient pourtant pas de faire couler la banque, mais c’est à cause de notre mauvaise notation dite « douteuse » – c’est leur terme – que la Caisse d’Épargne a mis du temps à statuer sur notre sort. Notre administratrice a dû batailler, plusieurs semaines, obligée de fournir toujours plus d’informations sur notre situation financière et notre administrateur judiciaire jouer des coudes, pour qu’après moult mails, d’espoir en rétractation, on obtienne, finalement, une réponse positive. Mais pour une demande initiale le 19 mars, le premier report d’échéance n’a été effectif qu’en mai !
« Les pratiques ne changent pas beaucoup pendant cette période de Covid. Les banques continuent de prêter à ceux avec qui elles peuvent s’entendre, c’est-à-dire les entreprises qui ont les reins solides. Pour les plus fragiles, c’est toujours plus compliqué. On les ignore la plupart du temps », note Alain Bousquet, président de la Fédération nationale des associations contre les abus bancaires (FNACAB) basée à Antibes (06). Pour lui, qui suit différents dossiers d’entreprises et de particuliers, il est même actuellement encore plus compliqué de faire valoir ses droits : « Les appels à l’aide ont augmenté de 40 % depuis le début de l’année et se sont amplifiés avec la pandémie. Les entrepreneurs se trouvent pris au dépourvus. » Et cet avocat en retraite de conclure : « Les banques ne jouent pas le jeu et n’appliquent pas les lois. Aller en justice ne sert à rien car la justice est favorable aux banques. Ce qu’il faut c’est faire scandale ! »