Chez Barbebelle, le ruisseau qui fout en « Rognes »
Dans l’arrière-pays aixois, on comprend sans peine pourquoi le pilote de rallye (et ex-député UMP) Ari Vatanen s’est établi à Rognes : il y a du vin et des virages ! Au détour de l’un d’eux, le Château Barbebelle. Nous sommes en appellation Coteaux d’Aix : une bastide du XVIe siècle, un rhinocéros factice sur le parking, deux chevaux pour le surveiller, 45 hectares de vignes et du grillage tout autour. Sur ce domaine de 300 hectares bardés de médailles, au delà du panneau « propriété privé », pas l’ombre d’une ruine antique mais des chambres d’hôte. En contrebas, une parcelle avec quelques hectares d’une vigne encore jeune, le long d’un ruisseau, la Concernade.
D’ordinaire, chez un vigneron, ce n’est pas l’eau qui devrait nous intéresser. Mais c’est pourtant ce dont on voudrait causer avec celle qui tient les rênes de ce domaine familial et dont le sourire « BTS force de vente » orne la cave comme les vidéos du Château : Madeleine Herbeau. Mais elle n’est pas disponible. Il faut se contenter de repartir avec la cuvée portant son nom. En sortant du domaine, on retombe sur le ruisseau. Et c’est peu dire, en arrivant sur le domaine, qu’il change de visage. Avant de franchir la départementale, c’est un filet d’eau qui glougloute en cascade à travers la végétation. Mais, chez Barbebelle, martial et discipliné, il suit un chemin quasi tracé au cordeau.
Exit la zone humide
Et c’est bien ce qui désole Jean-Pierre Juigner. Maraîcher bio dans le Luberon, il a été, sept ans durant, locataire sur le domaine. Et s’est inquiété des travaux dès 2017 : « À l’époque, il y avait, à proximité du ruisseau, une zone humide avec des narcisses, des batraciens. Mais, en 2017, ont commencé les travaux autour du ruisseau. Et sur la parcelle où poussent aujourd’hui 5 hectares de vigne. ».
Madeleine Herbeau, finalement disponible, assure que, pour le ruisseau, il ne s’agit que d’un « simple entretien comme tout propriétaire est tenu de le faire. Il y avait des arbres qui étaient tombés et qui gênaient l’écoulement. C’est du débroussaillage, du bûcheronnage, rien de plus ! De toute manière, la moitié de l’année, il est à sec ». Pas de quoi alerter le maire (DVD) Jean-François Corno : « Je n’ai eu aucune demande de leur part ni de mes administrés. Et puis, c’est une propriété privée et le cours d’eau passe par leur domaine, alors… » L’opposition, elle, compte bien l’interpeller au prochain conseil municipal. « Et si ça ne suffit pas, on n’hésitera pas à solliciter le sous-préfet voire la DDTM et la police de l’eau !, affirme Roger Artaud (divers centre). Car, vu l’ampleur des travaux, on est au-delà du simple entretien. Ce qui aurait nécessité, a minima, une déclaration. Voire une demande d’autorisation. » (1)
Même si Michael Clio des Sentinelles de la Nature – une association en lien avec France Nature Environnement (lire ci dessous) – se veut prudent, il estime que « au vu des travaux qui semblent avoir été réalisés, il aurait fallu au moins que la mairie soit informée. Après, on n’est pas là pour jeter la pierre à qui que ce soit. Cela peut avoir été fait de bonne foi… » Et le pôle « juridique » de FNE 13 de rappeler la législation pour toute intervention sur un cours d’eau.
Pour appuyer ses dires, Jean-Pierre Juigner produit nombre d’éléments. Notamment des photos satellite. Avant travaux, la parcelle où se trouve aujourd’hui 5 hectares de vigne se caractérisait par sa végétation et, autour du ruisseau, celle-ci était si dense qu’on ne pouvait que deviner le cours d’eau. Suite aux travaux, la Concernade apparaît très distinctement, le long de ce qui est désormais un champ traversé par plusieurs fossés menant au lit du ruisseau.
Présent sur place, l’ancien locataire a suivi toutes les opérations. Pour lui, « les interventions sur le ruisseau sont tout sauf négligeables ». Car, en parallèle, les viticulteurs ont aménagé la parcelle pour y planter de la vigne. Et, note le maraîcher, cela n’a pas été simple. En effet, bien que l’on soit sur une parcelle agricole, la zone se caractérise par son humidité. Confirmation d’un habitué : « Il y avait deux anciens étangs artificiels. » D’où, en attestent les photos du locataire, des travaux d’aménagement pour le moins conséquents.
Travaux à la pelleteuse
Ainsi, en novembre 2018, suite à des précipitations abondantes, ce qui est redevenu un champ est gorgé d’eau. Impossible d’y planter de la vigne ! Des fossés sont donc creusés en amont début 2019 mais sans résultat. Ainsi, au cœur de l’été, alors que le ruisseau est à sec, commencent d’importants travaux. Sur la parcelle mais aussi, assure Juigner, sur le cours d’eau. Mais sans résoudre les problèmes d’humidité de la parcelle. Alors, début 2020, de profonds fossés sont creusés dans le champ avec pose de drains en plastique. En mai, la vigne peut enfin être plantée.
« C’était digne de la construction d’une autoroute ! », dénonce Juigner avec ses photos d’engins de chantier. D’ailleurs, fin 2019, à en croire le « calendrier » des chasses organisées à Barbebelle, l’une d’elles porte le nom d’une entreprise spécialisée dans ce type de travaux. Qui, sur le web, dit travailler pour de nombreuses collectivités et bénéficier du label « Qualipaysage ». Mais Madeleine Herbeau, comme son mari Valentin, refusera de nous communiquer le nom de l’entreprise ou le montant de la facture. Lâchant : « Vous croyez que pour de tels travaux, on peut y aller à la pioche ou avec une mini-pelleteuse ?! »
Au téléphone comme sur place, avec les viticulteurs, ça tourne au vinaigre : « Allez embêter ceux qui ne font rien plutôt ! », s’agace celle qui se définit comme une « amoureuse de la nature » et qui soupçonne le voisinage d’être derrière tout ça. Mais la propriétaire accepte de nous laisser visiter la parcelle en compagnie de son époux. Impossible toutefois de sortir du 4×4 ni de se balader le long du ruisseau. Nous voilà garés sur le pont enjambant le cours d’eau : « Vous voyez qu’on n’a ni détourné ni creusé ou élargi le lit. Sans quoi ce pont serait obsolète. Donc pas besoin de déclaration ou d’autorisation », lance le vigneron. « Et regardez les rangs, enchaîne la vigneronne. Pour respecter une certaine distance avec le ruisseau, on n’a pas planté jusqu’au bout. Et on a conservé bien des arbres que d’autres n’auraient pas hésité à couper. On a même laissé ce qu’on appelle une grenouillère. Alors que l’on n’y a jamais vu une grenouille ! »
Et de se souvenir du passage d’un agent de « l’Office français de la biodiversité qui n’a rien trouvé à redire » (2) : « Ici, on est reconnu « haute valeur environnementale » et en conversion bio ». Reste que, sur un domaine entièrement en AOP (Appellation d’origine protégée), la nouvelle parcelle sera, elle, en IGP (Indication géographique protégée), un classement moins prestigieux. « C’est pour faire des cubis », promet celle qui, avant d’être vigneronne, a fait des études de commerce. Après avoir goûté le rouge et le blanc qui porte son nom, même un sommelier amateur peut se risquer de conclure que Madeleine est prête depuis longtemps pour le vin en plastique…
1. Dont acte lors du conseil municipal du 18 décembre. Le maire a balayé les interrogations estimant qu’il n’y a là qu’un « conflit de voisinage ». Et, les associations de défense de l’environnement sollicitées par M. Juigner n’ayant pas interpelé pour l’heure la commune, il en déduit que « les propriétaires ont fait les travaux dans les règles de l’art ».
2. L’organisme n’a pas été en mesure de nous confirmer ce contrôle.