"Nous recensons les tentatives d'escroqueries"
14:15
Dans sa voiture hybride en autopartage de précaire bohème gauchiste, le plumitif du Ravi serpente, ce 10 mars, sur les départementales de l’arrière-pays varois. Il serre les dents et le volant. A chaque virage, un domaine viticole. Déployée autour de Brignoles, la « Provence verte » a des airs de bordelais. Ayant foiré son dry janvier ET son dry février, le journaleux va-t-il réussir à tenir sa dry quinzaine alors que sa rédaction l’envoie traîtreusement au cœur des vignobles, pour l’assemblée générale des vignerons indépendants ??
14:25
Au château Nestuby, à Cotignac, les voitures s’alignent déjà en nombre le long du chemin qui mène à la boutique-salle de réception. Des Kangoo, des BMW, des 4×4, des utilitaires. La mixité sociale par l’automobile.
14:30
Partant du principe que « le vin est un très bon désinfectant, en interne » (entendu à plusieurs reprises), les vignerons n’ont pas repoussé leur AG pour cause de coronavirus. De toute façon, nous sommes en dessous du seuil de 1 000 personnes dans un lieu public : 25 personnes se répartissent sur les sièges en plastique alignés dans la salle de réception entre des tables de dîner déjà dressées et la table d’honneur. Créées en 1979, les fédérations des vignerons indépendants regroupent des professionnels qui assurent eux-mêmes toutes les phases du travail du vin, depuis le champ jusqu’à la commercialisation. Dans les rangs cet après-midi, les tenues barbour côtoient costumes et look casual.
14:55
Un vrai petit air de François Hollande derrière ses lunettes et même parfois dans la diction, Laurent Bunan, président de la fédération Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse, ouvre les débats avec le procès-verbal de l’assemblée générale 2019. Aucune observation des adhérents. Adoptée à l’unanimité, et bim ! Voilà qui commence plus tranquillement qu’un conseil municipal.
14:58
Pierre Boyer, trésorier, présente le rapport financier. Le chiffre d’affaires 2019 atteint les 722 000 €, financé essentiellement par la vente des capsules de goulot estampillées « vignerons indépendants ». « Nous avons baissé la marge sur les capsules pour faire un meilleur prix, cela impacte nos recettes, note Pierre Boyer. Et les vignerons demandent de plus en plus de capsules personnalisées, où notre marge est plus faible. » La fédération affiche des dépenses de fonctionnement en baisse. Depuis les rangs du public, l’expert-comptable de la fédération rebondit : « La situation financière est bonne, et l’immeuble du siège vaut beaucoup plus que ce qui a été évalué. Il reste la question des capsules à traiter. » Certains vignerons indépendants ne les utilisent plus. Le montant de l’adhésion annuelle est mis au voix : « Nous n’augmentons pas, avec un forfait de 116,50 € plus 3,70 € par hectare », souligne Pierre Boyer. Adopté à l’unanimité. « Naturellement ! », grommelle un vigneron, croisement entre la voix de Jean-Pierre Marielle et la tête de Captain Iglo.
15:05
Renouvellement du tiers sortant du conseil d’administration. A une exception, tous les sortants, dont Laurent Bunan, se représentent. Reconduits à l’unanimité.
15:10
Responsable syndical et juridique, Didier Quiroga se lance dans la présentation du rapport d’activité, sans micro et sans quitter son siège dans le public : « La salle est petite, je le fais de là ! ! » L’année 2019 a été chargée, avec en tête de liste la rencontre nationale de tous les vignerons indépendants, organisée dans le Var, pour fêter les 40 ans de la fédération. « Nous avons aussi relancé les apéros vignerons, pour mieux se connaître. Nous devrions en faire deux ou trois cette année. » La fédération propose aux vignerons de plus en plus de logiciels et de formations pour s’y retrouver dans le maquis administratif. « Et nous recensons les tentatives d’escroquerie. » Sur les appellations ? Les certifications ? On n’en saura pas plus…
15:15
Laurent Bunan prend le relais pour le rapport moral, et attaque la « simplification » prônée par l’État. « L’administration nous vend des solutions qui n’en sont pas. Avant, nous consacrions deux jours par mois au secrétariat, aujourd’hui c’est minimum deux jours par semaine. Nous nous sentons en insécurité juridique, et notre bonne foi ne nous servira pas face à l’administration ! » Entre le haut plafond qui fait résonner les voix et le rayon de soleil qui illumine les visages par l’arrière, on se croirait par moments dans une église. Le président revient sur la baisse des ventes de capsules, « alors qu’elles donnent une image très valorisante pour 76 % des consommateurs de vin, selon un sondage ». Ça commence à bavarder dans le public.
15:35
Fabienne Joly, vigneronne et présidente (FDSEA) de la chambre d’agriculture du Var, enchaîne sur les zones de protection pour l’usage de pesticides. « On se met d’accord sur une charte, le préfet la lit, l’approuve, mais ne la signe pas. Et nous n’avons pas d’associations de riverains à l’échelle départementale avec qui discuter… » Autre difficulté : les catastrophes naturelles. « Ici on passe des inondations à la sécheresse, avec de telles ampleurs et une telle récurrence que les taux de remboursement baissent ! Donc vous avez raison de travailler avec les assurances pour trouver des solutions. » La fédération planche en effet pour élaborer de nouveaux contrats, alors que près de la moitié des vignerons ne seraient pas assurés.
15:45
Une spécialiste de la chambre d’agriculture détaille le plan d’action contre la flavescence dorée, qui étouffe les vignes et se développe très rapidement. « La difficulté c’est que les symptômes sont visibles surtout après août, durant la plus forte période d’activité pour les vignerons. Dans le Var, en 2019, nous avons pu vérifier 3 000 hectares en trois ans, sur 28 000 hectares au total. » Dans les Bouches-du-Rhône, le département a investi 300 000 euros dans un drone équipé de caméras spéciales. « Ce n’est pas homologué mais ça donne de bons résultats », note Fabienne Joly.
16:10
« Ça va rien résoudre, faut pas déconner, on en revient au temps des soviets, là ! ! », râle dans sa barbe Captain Iglo. Emmanuelle Lan, spécialiste du foncier à la chambre d’agriculture, vient de détailler toutes les mesures lancées dans le Var pour lutter contre les friches agricoles. Autant que possible par la concertation, comme dans un village tout proche où 30 hectares sont redevenus cultivés, et deux jeunes agriculteurs se sont installés. Mais parfois aussi par la coercition, en utilisant la procédure de mise en valeur des terres incultes, en action conjointe de l’État et du département. « C’est un outil qu’on plébiscite, assure Emmanuelle Lan. On a déjà 5 dossiers en cours dans le département. » Objectif affiché : regagner 8 % de la surface agricole utile perdue sur les soixante dernières années. « C’est vrai que cela devient de plus en plus difficile de trouver des terres à exploiter, abonde Laurent Bunan. Les propriétaires ne veulent plus louer. » Mickaël Latz, vigneron et maire depuis vingt-cinq ans de Correns, premier village bio de France depuis les années 1990, s’invite dans le débat : « Il faudrait que les schémas d’urbanisme définissent des vraies zones “agricolables” pour qu’on puisse aller beaucoup plus vite une fois qu’on arrive sur le terrain ! » Fabienne Joly saisit la balle au bond : « On manque d’élus agriculteurs !! Quelle que soit la couleur politique, on s’en fiche !! »
17:15
Après un dernier échange sur une étude marketing qui prouve que, pour le rosé, les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour avoir une bouteille originale, la séance est levée. Une demi-douzaine de rouge, blanc et rosé sont ouvertes pour dégustation mais, santé sobriété, les trois quarts de l’assistance lèvent le camp après un verre. Tout comme le plumitif du Ravi, qui a quand même 1h30 de route à tailler. Pour rouler sous la table, hein, ce s’ra pour un aut’fois.
De bas en haut, croqués par Trax : Laurent Bunan, président de la fédération des vignerons indépendants de Paca, Fabienne Joly, présidente FDSE de la chambre d’agriculture du Var, Emmanuelle Lan, spécialiste du foncier à la chambre d’agriculture.