Les maires tiennent la clé des champs
« Les maires sont déjà très contraints par la loi. Les pratiques d’il y a 20 ans, c’est terminé. Cela m’étonne que le phénomène perdure autant avec la réglementation qui existe », lâche sans sourciller Jean-François Lovisolo, maire socialiste de la Tour-d’Aigues et président de l’association des maires de Vaucluse. Pourtant, c’est en moyenne, en France, environ 27 000 hectares par an, selon le gouvernement, qui sont mangés par le béton, au rythme de quatre terrains de foot à l’heure… Et ce sont les maires qui ont la main sur les documents d’urbanisme et donc sur les constructions.
Cette artificialisation des sols touche la plupart du temps des terres agricoles. Le plan biodiversité présenté par Nicolas Hulot en 2018 fixe un objectif 0% artificialisation nette des sols. Les préfets ont également tous reçu une circulaire engagée cet été avec la consigne de rénover le bâti existant, lutter « fermement » (sic) contre les logements vacants et « densifier » les zones urbaines. Danger pour la biodiversité, le renouvellement des nappes phréatiques, inondations, inquiétudes sur l’autonomie alimentaire du pays, économie locale… Les enjeux sont de taille.
Quatre terrains de foot par heure
En attendant, et si on peut toujours rêver, ça urge ! Le mois dernier, la section des Bouches-du-Rhône de l’association France nature environnement (FNE) a présenté un répertoire des terres agricoles menacées dans le département sur une quarantaine de villes (1). Avec à chaque fois des propositions d’exploitations agricoles. Dans la région, où 8,8% des terres étaient artificialisées en 2015, le « 13 » est le département le plus touché par le phénomène avec 18,7 % (9,4 % au niveau national) (2) ! D’autres répertoires départementaux devraient suivre dans les mois prochains.
« Manger des terres agricoles, c’est toujours la solution la plus facile, la plus économique, déplore Stéphane Coppey, président de FNE 13. Quand on participe à des CDPENAF (3), on voit arriver des projets en décalage total. On bataille contre des maires qui défendent leur projet mais il y a toujours mille excuses, mille raisons. » Comment sauvegarder ces terres agricoles, qui peuvent faire l’objet de culbutes spéculatives parfois très intéressées comme le raconte souvent le Ravi – tout en respectant par exemple la loi sur les logements sociaux, en construisant sa zone d’activité économique ?
« C’est un vrai dilemme »
« C’est un vrai dilemme, il faut arriver à concilier les deux, continue le maire Jean-François Lovisolo. J’ai une demande sur ma commune pour une zone d’activités. On ne va pas les concentrer dans les grosses villes pour mettre tout le monde sur les routes ! » Le répertoire de la FNE pointe à Pertuis (84) 235 hectares menacés. Pour le maire, Roger Pellenc (divers droite), qui a créé une société spécialisée dans les machines agricoles, « ce chiffre, c’est une blague ! Il est bien prévu une extension sur 80 hectares de la Zac pour accueillir les entreprises internationales du projet Iter et des constructions de logements sociaux. J’ai 600 demandes, comment je fais ? », interroge-t-il avant de mettre en avant sa zone agricole protégée (Zap) sur la plaine de la Durance, un outil qui existe depuis 1999 mais visiblement trop contraignant : il n’en existe que quatre en Vaucluse !
Usine à cash
Anne-Laurence Petel, députée En marche ! des Bouches-du-Rhône ne mâche pas ses mots : « Le constat est catastrophique ! » Et particulièrement dans le département « où le foncier n’est pas utilisé comme un outil d’aménagement mais de promotion immobilière, une usine à cash ! » Co-rapporteuse d’une mission d’information sur le foncier agricole l’année dernière, elle partage également la présidence du Comité pour l’économie verte. Pour elle, « il faut éloigner les maires de l’élaboration de l’urbanisation ». Une bombe… Si la solution vient « des territoires », elle planche sur une proposition de loi sur le sujet.
Autre argument invoqué par les maires : la baisse du nombre d’exploitants agricoles et les terres en friche. « Bidon » selon Stéphane Coppey de la FNE : « Pendant longtemps on a incité les agriculteurs à vendre leurs terres car ils en tiraient des bons prix. Il faut se poser la question du modèle. L’intensif étouffe de dettes les producteurs. Il faut sauvegarder et vraiment accompagner les agriculteurs à la reconversion, en bio si possible. » Le président de la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône Patrick Lévêque abonde : « On ne sait pas ce qui peut se passer, il peut y avoir un regain de l’agriculture comme il y a eu un retour à la viticulture. Les terres agricoles vont valoir cher à l’avenir. »
Alain Goléa, responsable associatif qui a animé ce répertoire pour la FNE, demande de la cohérence : « Sur le papier, la volonté est là. La métropole travaille sur un plan territorial, soi-disant “le plus ambitieux de France”. Nous on dit chiche ! Mais comment on fait si on supprime les terres agricoles ? Tous les documents d’urbanisme prévoient une augmentation des habitants… C’est pour cela qu’on demande un moratoire sur tous ces projets. » L’association organise une réunion publique le 7 novembre prochain à Marseille. À presque une semaine de l’événement, seul le maire de Gignac-la-Nerthe (13) avait répondu à l’invitation…
1. www.fne13.fr/sauvons-nos-terres-agricoles
2. Observatoire régional de la biodiversité 2019.
3. Commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers.