Retour vers le futur agricole à la Durette
La ceinture verte d’Avignon : des hectares de terres agricoles en périphérie sud, traversée dans un futur proche par la LEO, le projet de contournement routier de la cité des Papes. Voilà le cadre de la Durette, une ferme expérimentale spécialisée dans l’agroécologie et plus précisément l’agroforesterie. Ce projet piloté par le Grab (Groupe de recherche en agriculture biologique) – et qui est l’une de ses vitrines – s’étend sur trois hectares et demi sur des terres louées au Conseil départemental de Vaucluse (voir encadré).
Pensée dès 2008 en partenariat avec l’Inra (Institut national de la recherche agronomique) et la chambre d’agriculture de Vaucluse, et financée entre autres grâce au plan Ecophyto, la Durette a pour objectif d’améliorer les techniques d’agriculture biologique et de baisser les impacts néfastes sur l’environnement. Avec l’ambition de travailler à l’échelle d’une « vraie » ferme, dans des conditions « classiques » et de démontrer la viabilité du procédé.
La première parcelle exploitée (et mécanisable) en agroforesterie date de 2014. Concrètement, il s’agit de concilier culture maraîchère et culture d’arbres fruitiers sur le même terrain et de les rendre complémentaires. Pommiers, poiriers, pêchers, abricotiers ou encore cerisiers côtoient courgettes, tomates ou aubergines. A l’opposé complet d’un modèle agricole basé sur une monoculture. « On mise sur la diversité et la résilience du système, explique Chloé Gaspari, qui coordonne le projet pour le Grab. Nous interrogeons ce qu’on appelle la « reconception » : diversifier le système mais pour quel impact ? Et peut-on diminuer le recours aux intrants phytosanitaires ? » Un questionnement primordial à l’heure où le monde agricole est fracturé et où les consommateurs s’inquiètent des effets des pesticides sur leur santé. Surtout dans un département agricole très concerné par le problème (Cf le Ravi n°169).
PROJET SUR LE LONG TERME
A la Durette, on diminue les fertilisants en utilisant de l’engrais vert (des végétaux) et on favorise la biodiversité pour que la nature se régule, pour que les nuisibles se fassent éradiquer par d’autres espèces. Des fleurs sont plantées entre les rangs pour accueillir les « auxiliaires », des insectes qui vont éradiquer les indésirables. « C’est un projet sur le long terme, insiste Chloé Gaspari. Les premiers arbres ont été plantés en 2014 et seuls les abricotiers ont donné des fruits l’année dernière. La ferme devrait atteindre sa vitesse de croisière d’ici 2025. Il est donc compliqué de tirer des conclusions à ce stade. »
A 10 heures, le soleil tape déjà fort et les oiseaux chantent. Les trois agriculteurs qui travaillent sur l’exploitation s’activent autour du vieux corps de ferme. Dans un petit hangar, un tableau récapitule les tâches du jour : « enlever la bâche pour filets, semi oignons, récolte : carottes, mâche ». Maxime, Raphaël et Julien sont en « couveuse », un dispositif spécial de création d’entreprise. Ils vivent aujourd’hui de leurs indemnités chômage. Ils projettent de créer un GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) dans un an. Ils ont tous une formation en agronomie et se sont répartis les tâches : Raphaël s’occupe de l’arboriculture, Maxime et Julien du maraîchage.
Ce dernier a participé à la conception du projet et dispose d’une expérience de 10 ans en production. A 35 ans, il s’apprête à aller bricoler des outils d’attelage originaux pour travailler une terre fertile mais limoneuse. Il ne se considère pas comme paysan, « plutôt comme producteur de fruits et légumes même si administrativement, je suis chômeur ! Nous ne sommes pas sur un modèle classique. Ici, rien ne nous appartient, ni le terrain, ni l’outil de production. Pas d’emprunt sur le dos qui engage toute notre famille… C’est ça pour moi l’agriculture du futur : des terrains propriétés de la collectivité donnés à des porteurs de projets agricoles. C’est un métier difficile, il faut s’entraider. »
Emmanuelle Filleron suit l’expérimentation pour la chambre d’agriculture : « L’objectif est de concilier performance environnementale et économique. Sans jugement de valeur, le but est de voir ce qui marche et ce qui marche moins. Il y a en France une vraie dynamique d’installation sur ce genre d’exploitation, mais c’est encore compliqué de s’y retrouver. Et même si ce concept n’est pas adapté pour tous, il faut capitaliser et rendre visible ce qui marche. Je crois à la viabilité de la Durette, les trois agriculteurs s’entendent bien et leur objectif de chiffre d’affaires me semble atteignable. »
Les trois acolytes produisent chaque semaine entre 40 et 60 paniers, commandables sur Internet, avec une diversité de produits à prix accessibles. Encore insuffisant pour en vivre. Maxime, bientôt la trentaine, est à la Durette depuis décembre dernier. Bonnet vissé sur la tête, il ne tardera pas à l’enlever. Passé par l’Inra, il désirait s’installer, « travailler le côté scientifique et avoir sa co-entreprise. Il y a encore tout à faire ici, tout à montrer ! Je me vois ici pour une bonne dizaine d’années ».
STADE DES HYPOTHÈSES
De l’autre côté de la ferme, dans la première parcelle, Raphaël s’occupe d’un jeune pommier, oriente ses branches grâce à une cordelette. Ce technicien agronome avait l’ambition de travailler la terre : « En dehors de ce projet, il aurait été compliqué de s’installer sans s’endetter sur 30 ans. Notre objectif, c’est d’associer la pratique agricole avec un mode de production complexe tout en faisant en sorte que cela nous fasse vivre. Et j’y crois même si nous en sommes encore au stade des hypothèses. Nous essayons de les vérifier. » A 29 ans, il ne souhaitait pas non plus rompre avec son urbanité : « C’est un luxe de pouvoir rentrer chez soi le soir. Et j’aurais beaucoup de mal à travailler sur un terrain isolé de tout. » Alors que Chloé Gaspari fait visiter quatre serres, le poulailler et des parcelles de plein champ où des choux attendent d’être récoltés, elle explique que l’atout de la Durette est aussi la diversité de son organisation : « Le collectif, même si ce n’est pas toujours facile, est une force. »
Pour Nicolas Verzotti, élu récemment à la chambre d’agriculture sur la liste de la Confédération paysanne, « il est super important de mettre autour d’une table agriculteurs et chercheurs pour mettre en place un système innovant. Et là, il est testé dans des conditions réelles ». Grâce à d’autres dynamiques, cette expérimentation a déjà permis la publication d’un livret intitulé SMART, très précieux pour des porteurs de projets similaires. Ayant lui-même participé aux discussions à l’origine du projet, il s’est inspiré de la Durette pour son installation en agroforesterie en 2012 au Thor. « Quand j’ai présenté mon projet à la chambre d’agriculture, on m’a répondu qu’on ne savait pas ce que c’était que l’agroforesterie. Ils sont désormais partenaires… […] Les choses commencent à bouger, il y a un bouleversement dans le monde agricole, nous nous sentons moins marginalisés. » Le retour à la terre 2.0.