Ministère de l'environnement et du bétonnage ?
« Ils vont tout massacrer », montre Denis Rangon en circulant entre les vergers, les serres, les vieux mas, les champs et les petits canaux d’irrigation. Il fait partie de l’Appre, l’Association de défense du patrimoine rural et environnemental qui se bat contre le projet de redéploiement du MIN de Châteaurenard (13). Le MIN, marché d’intérêt national, lieu de vente de denrées alimentaires, est aujourd’hui vétuste et situé en centre-ville sur 11 hectares. Le plan de prévention des risques inondations (PPRI) réserve 92 hectares à son déménagement prévu en bord de Durance. Or, en bord de Durance, les terres sont inondables et logiquement inconstructibles, « mais là, ils ont posé un zonage spécial, hors cadre légal, qui permet des constructions dans le cadre du redéploiement du MIN », ne comprend pas Franck Sylvain, président de l’Appre.
Depuis cinq ans, l’association se bat donc contre un projet qu’elle trouve « inutile », « disproportionné » et « destructeur de terres agricoles ». Pour livrer bataille, elle a attaqué devant le tribunal administratif le plan de prévention des risques inondations de Châteaurenard, prorogé en 2016 par arrêté préfectoral. Et elle a obtenu son annulation au mois de mai 2019. Comme les citoyens, le tribunal a constaté l’illégalité du zonage du redéploiement du MIN. La préfecture avait six mois pour revoir le découpage des terrains pour qu’il soit « conforme à la nature et à l’intensité du risque auquel ils sont exposés ». En clair, le tribunal reconnaissait que les terrains étaient inondables et qu’il fallait y interdire les constructions comme sur les autres terrains inondables mitoyens.
Ministère hors-sol
Mais la victoire ne fut que passagère. Au mois d’août 2019 le ministère de la Transition écologique fait appel de la décision. Après un délai qui retardait l’application de la décision de justice, le 5 décembre dernier, un coup de mistral est venu souffler les espoirs des militants avec l’annulation du jugement de première instance par la cours d’appel administrative de Marseille. D’autant plus glaçant que l’appel vient du ministère, qui affiche pourtant l’ambition de « zéro artificialisation nette des sols », inscrite dans la loi biodiversité de 2018. Le premier jugement a été cassé au motif que « le tribunal aurait dû n’annuler que partiellement » le PPRI, note le délibéré de la cours d’appel. « On nous bassine avec des beaux discours sur l’importance des terres agricoles, les plans, les lois et les textes sont nombreux pour sanctuariser les terres agricoles et le ministère de l’écologie vient permettre la bétonisation. Si ce n’était pas grave, ce serait cocasse, c’est incompréhensible », se désole Franck Sylvain.
« Ce jugement ne porte pas de jugement de valeur sur le projet du MIN, encore moins sur la problématique de consommation d’espace agricole », se défend le service presse du ministère de la Transition écologique. L’annulation du PPRI « ne permettait plus la protection normale de l’ensemble des habitants de Châteaurenard ». C’est-à-dire ? Le plan de prévention des risques est un document obligatoire qui permet de définir les règles de constructibilité. Il permet par exemple d’interdire les constructions en zone inondable. Difficile donc de faire sans. La méthode interroge l’association. « Pourquoi le ministère n’a-t-il pas demandé à la préfecture d’accélérer pour fournir la nouvelle version du PPRI qui respecte la loi comme le veut le premier jugement ? », questionne le président de l’Appre.
Sans vouloir se prononcer sur le fond de « l’éventuel projet de MIN », le service de presse du ministère se camoufle derrière les « phases de concertation et d’association du public au cours duquel les habitants et leurs associations auront la possibilité de se prononcer sur l’opportunité du projet », si celui-ci devait se poursuivre. L’association a envoyé une lettre à Barbara Pompili, actuelle ministre de la Transition écologique. Restée pour l’heure sans réponse : « On a l’impression que personne ne connaît le sujet au ministère, qu’ils font une confiance aveugle aux préfets ». Pour l’heure, l’Appre a décidé de porter l’affaire devant le Conseil d’État. En quelques semaines, ils ont récolté plus de 5 000 euros de dons pour payer l’avocat.
« Projet mégalo »
Du côté de la nouvelle municipalité de Châteaurenard, on tient toujours à déplacer le MIN et récupérer 11 hectares de foncier en centre-ville. Pour le maire Marcel Martel (divers droite), l’outil n’est « plus adapté aux nouvelles méthodes de commercialisation ». Contrairement à Bernard Reynès, l’homme politique qui avait lancé le projet et obtenu le soutien de Renaud Muselier (LR), président de la région Paca pour 20 millions d’euros et de Martine Vassal (LR), présidente du département des Bouches-du-Rhône pour 28 millions d’euros, le nouveau maire déclare qu’il construira uniquement « ce qui est nécessaire » et tacle « la démesure » du projet porté par son prédécesseur.
« Ce qu’il s’est passé depuis quatre ou cinq ans dans la construction de ce Grand marché de Provence [nom donné au projet de nouveau MIN] , c’est scandaleux », déclarait Marcel Martel en conseil municipal début décembre. Pas de quoi non plus rassurer les opposants au projet : « On ne va pas lâcher, c’est un projet dont on pourrait se passer et construire sur des terres déjà artificialisées. Si c’était vraiment pour empêcher les bouchons dans Châteaurenard, le projet serait situé à Noves (13) en bordure d’autoroute. On hérite juste d’un projet mégalo qui n’a jamais prouvé sa nécessité ». Pour l’heure, la mairie de Châteaurenard va déposer la demande de déclaration d’utilité publique à la préfecture qui permettrait les expropriations sur 35 hectares de terres agricoles pour la construction du »cœur de MIN ».