Freinage difficile pour le Boulevard Urbain Sud
Solution à l’embouteillage permanent du centre-ville ou projet déjà obsolète et surtout polluant ? À Marseille, le BUS divise. Ce Boulevard Urbain Sud doit prolonger la rocade L2 de 8,5 kilomètres, depuis l’échangeur Florian jusqu’à la Pointe Rouge, créant un contournement du centre-ville de 18 kilomètres. Les prévisions annoncent 600 000 véhicules par mois qui traverseront quotidiennement sept quartiers des arrondissements 6-8 et 9-10.
Début mars 2020, 500 opposants défilaient pour dénoncer « l’aspirateur à voitures », alors que Marseille compte trois fois moins de kilomètres de lignes de bus que Lyon et six fois moins de kilomètres de pistes cyclables. « On est la [deuxième] ville la plus embouteillée et la plus polluée de France, on a besoin d’îlots de fraîcheur » tonne Cédric Jouve, ancien coordinateur du collectif CAN BUS, qui réunit plusieurs associations opposées au projet, et entre-temps élu adjoint à la Culture, sous les couleurs du Printemps marseillais, dans la mairie de secteur des 6e et 8e arrondissements.
Inauguration en catimini
Le tracé du BUS tel qu’il est présenté aujourd’hui propose de couper en plein milieu du parc de la Mathilde, lui faisant perdre 18 000 mètres carrés sur les 30 000 actuels – les jardins partagés de Joseph Aiguier seraient également fracturés par son passage. Le collectif milite également pour préserver la pinède située derrière le quartier du Roy d’Espagne qui serait amputée d’environ 200 pins centenaires – sur des terrains laissés en friche car réservés depuis les années 30 en vue de la réalisation du boulevard. À cela s’ajoutent les écoles, collèges, crèches et l’hôpital qui seraient frôlés par ses 600 000 véhicules annuels. Selon le collectif, le BUS serait saturé dès sa mise en service, comme l’est déjà le premier tronçon dont toutes les intersections sont régies par des feux tricolores. Pour les opposants, les boulevards existants (Jarret, Michelet) pourraient être utilisés pour absorber le trafic. Seulement, que ce soit chez les opposants ou les partisans, personne n’avance de solution pour limiter les besoins en déplacements domicile-travail.
Le coût du BUS s’élève à 300 millions d’euros, financé à 33 % par la métropole, qui en est le maître d’œuvre, et à 67 % par le Conseil départemental. Le premier tronçon de 5 kilomètres reliant l’échangeur Florian au boulevard Sainte Marguerite a été ouvert le 1er juillet 2020 comme prévu. Dans une discrétion qui aurait presque posé question sans l’explication, la main sur le cœur, du maire de secteur (LR) Lionel Royer-Perreaut : « Je ne trouvais pas sain de faire une inauguration en période d’élection municipale, mais on allait pas en priver les gens. » Respect pieux de la campagne ou discrétion calculée pour faire face à l’hostilité des collectifs et de la nouvelle majorité municipale ?
Deux tronçons restent à construire, pour une livraison prévue pour mi-2022. « On essaye de pointer les incohérences de ce projet : il n’y a pas eu d’études d’alternatives, s’exaspère Cédric Jouve. L’étude d’impact que madame Vassal nous avait promise devait nous être présentée le 15 mai 2020, mais nous n’avons toujours pas eu de retour. On a l’impression que le but est plus d’expliquer pourquoi le projet est bon plutôt que de le remettre en question. »
Ingéniosité et espièglerie
Dans ses promesses de campagne, le Printemps marseillais était catégorique à vouloir « renoncer aux projets inutiles ou mal engagés […] comme le Boulevard Urbain Sud ». Place aux bus et aux vélos, voire un petit RER métropolitain tant qu’à faire. Mais, sans budget et sans avoir les rênes à la métropole, la marge de manœuvre semble réduite. Déjà, face à l’endettement de la ville laissé par la précédente équipe municipale (environ 2 000 euros par habitant), le mandat de Michèle Rubirola a dû démarrer par un SOS en détresse afin d’obtenir de l’État un « soutien exceptionnel pour rattraper au moins une partie de nos retards ».
Les deux secteurs municipaux concernés par le tracé sont aussi de bords politiques différents. Dans le coin gauche Olivia Fortin, élue du Printemps marseillais dans le 6-8, fervente opposante au BUS : désormais adjointe en mairie centrale, elle a laissé le fauteuil de maire de secteur à Pierre Benarroche. Dans le coin droit, Lionel Royer-Perreaut, éphémère candidat pour succéder à Jean-Claude Gaudin, réélu maire de secteur dans le 9-10. Chez les LR, les mots-clefs sont bien choisis : « Je suis dans une démarche pragmatique et non idéologique”, répète Lionel Royer-Perreaut. Qui se dit « ouvert au dialogue » mais assène aux opposants que le projet est nécessaire de toute façon. « Il va falloir faire preuve d’espièglerie et d’ingéniosité pour contrer ça, comme on a toujours fait au Printemps », botte en touche Olivia Fortin.
Argument inattendu pour les opposants au projet, le 10 juillet 2020 l’État a été condamné à une amende de 10 millions d’euros par semestre par le Conseil d’État pour inaction face à la pollution dans huit grandes agglomérations dont Aix-Marseille. Difficile alors de justifier le prolongement d’une autoroute urbaine. La nouvelle ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, souhaite augmenter de 2 000 euros la prime à la conversion des voitures polluantes, dans l’espoir de faire d’Aix-Marseille une « zone à faible émission ». Une mesure « totalement inefficace » selon l’adjoint à la maire de Marseille, Hervé Menchon (EELV), car l’enjeu est de réduire le nombre de véhicules sur les routes…