Vélo des villes, vélo des champs...
« C’est incroyable, ici la région est la Mecque du vélo sportif et on ne fait rien pour le vélo de tous les jours », souffle Jean-Luc Deveaux, cycliste et militant écologiste à Carpentras. Si pédaler pour ses déplacements du quotidien en Paca est un sport de combat, militer pour faire progresser la place du vélo dans les politiques d’aménagements publics relève de l’épreuve d’endurance. Au baromètre 2019 des villes cyclables établi par la Fédération Française des usagers de la bicyclette, la région est dans le gruppetto des plus mauvaises expériences cyclables. Les rares exceptions de villes « plutôt favorables » sont Forcalquier (04), Mouans-Sartoux et Villeneuve-Loubet (06).
Marseille renouvelle son titre de ville la plus défavorable de l’Hexagone pour les déplacements à vélo. Elle reste la championne hors catégorie des incohérences cyclables avec sa spécialité de bandes sur les trottoirs, encombrées de poteaux et s’interrompant dans des poubelles ou des abris-bus… Partout à travers la région, à la ville comme à la campagne, les supporters du vélo font le constat de politiques publiques établies à la rasbaille.
« Ce n’est parce qu’on a changé la couleur d’un trottoir qu’on a fait un aménagement cyclable. Un trottoir reste un trottoir », fustige Simon Vitorge, salarié de l’association Mobil’idées à Gap. Dans un même esprit, Stéphane Coppey, membre de Vélo en ville à Marseille défend la « libération des trottoirs. Les trottoirs sont pour les piétons. Nous défendons aussi la place des piétons dans l’espace public ». Il serait donc temps que l’espace dévolu aux bagnoles soit restreint au bénéfice des autres usages de la voie publique. En plus de rendre plus vivables les centres-villes, c’est un enjeu de lutte contre le changement climatique et la pollution atmosphérique répètent nos interlocuteurs.
Attention, dangers !
Mais en Paca, les rocades poussent toujours plus vite que les pistes cyclables. Et trop souvent les aménagements routiers ou les requalifications se font au détriment de l’usage du vélo. A Carpentras, la construction de la rocade, mise en service en 2013, a sectionné plusieurs chemins pénétrants vers le centre-ville. Ce qui a rendu « les parcours à vélo plus complexes qu’en voiture », estime Jean-Luc Deveaux. « Ils n’ont construit qu’une seule passerelle de franchissement », regrette-t-il. A Marseille, les abords de la plage des Catalans sont équipés d’une piste cyclable depuis 2019 (sur trottoir !) mais les stationnements vélos ont disparu avec les travaux. Désormais les cyclistes se servent des barrières qui surplombent la plage comme arceaux pour accrocher leurs biclous.
Au niveau métropolitain, quelques réalisations sont tout de même notables : telle que les pistes cyclables livrées en 2019 avec l’Aixpress, le bus en site propre d’Aix-en-Provence, la piste double sens de la Corniche née la même année et la pérennisation de la coronapiste de La Canebière à Marseille en 2021. Mais pour la mise en place des itinéraires interurbains et inter-arrondissements inscrits au plan vélo de la métropole, nul ne sait quel oracle consulter pour connaître la date effective de leur réalisation. Aix-Marseille-Provence annonce 2024 pour les itinéraires marseillais et 2030 pour ceux métropolitains. Dans chaque métropole de la région, les acteurs associatifs font le même constat de l’absence pour l’heure d’un réseau cyclable cohérent.
« Nous défendons aussi la place des piétons »
En zone rurale, les cyclistes connaissent aussi des difficultés. « Le Vaucluse, terre du vélo ? C’est vrai, c’est magnifique. Il y a plein de petites routes tranquilles mais aussi trop d’endroits dangereux », raconte Pierre, un cyclo-touriste strasbourgeois qui réside une bonne partie de l’année à Malaucène. « A l’entrée du village, la bande cyclable s’arrête alors que la route se rétrécit parce qu’il y a une allée de platanes. Les bandes cyclables sur le bas-côté ne sont pas nettoyées et sont souvent pleines de merdes qui te font crever », poursuit-il. Résultat : « Les cyclistes peu aguerris, notamment ceux qui s’y mettent grâce aux vélos électriques, finissent par renoncer. »
Le diable se cache parfois dans les détails, comme « une bordure de trottoir trop haute que vous, adulte, vous pouvez franchir mais qu’un minot ne peut pas. Ce qu’il faut c’est que les aménagements puissent amener de nouveaux usagers. Pour nous, vous devez pouvoir y amener vos enfants en sécurité », défend Gilles Lehmann du Collectif pour l’essor du vélo à Toulon.
Les voies vertes ou véloroutes qui offrent des itinéraires réservés aux vélos et autres modes dits « doux » peuvent aussi encourager les déplacements du quotidien. Mais elles sont encore bien peu développées. Seule la via Rhôna, qui suit le fleuve du Léman à la Méditerranée, présente un itinéraire complet. A terme la via Venaissia, d’Orange au Luberon devrait y être connectée. Mais pour l’heure seulement 15 km de voies propres entre Jonquières et Carpentras ont été finalisés en 2019. Le reste du parcours se fait sur les départementales puis en VTC (Vélo tout chemin) le long du canal de Carpentras.
Véloroutes au ralenti
Lancée dans les années 1980, son premier tronçon a été ouvert en 2005. La véloroute du Calavon dans le Luberon connaît aussi des longueurs avant de voir son tracé s’étendre. A chaque extrémité, des nouveaux tronçons sont actuellement en cours d’aménagement : de Robion à Cavaillon et de Saint-Martin-de-Castillon à Céreste. « Il faudrait qu’elle puisse rejoindre Manosque sans discontinuité », expose Mathieu Richard de l’association des Alpes-de-Haute-Provence Mobiclou. Ce qui est prévu, mais quand cela deviendra-t-il effectif ?
Pourtant, la plupart des collectivités ont adopté des plans vélo. Mais du papier à la réalité c’est compliqué. Le département de Vaucluse projette de terminer la connexion des ses trois véloroutes principales d’ici 2025. Sur la même période, le schéma de la région, adopté en 2017 et revu en décembre 2019, envisage de finaliser neuf véloroutes. Le tout avec le concours de Fonds européen de développement régional (Feder). L’horizon 2025 semble inatteignable. En 2017, la région ne comptabilisait que 60 % des 2040 kilomètres encore à ériger. Depuis – à l’image de la via Venaissia – seuls des segments de quelques dizaines de kilomètres ont été mis en service.
Trois projets sont encore à zéro kilomètre : Marseille-Pertuis via Aix, la vélo-route des Pignes de Digne à Nice et Pierrelatte / Valréas / Nyons. Sur les autres itinéraires la discontinuité reste la norme. Exsangue jusque-là de voies cyclables en site propre, les Hautes-Alpes s’apprêtent à entamer l’aménagement de 15 kilomètres entre Chorges et Gap, jalon de la future liaison de Briançon à Avignon. Seuls 55 kilomètres des 415 kilomètres de cet itinéraire sont en service. Des Saintes-Maries-de-la-Mer à Nice, si de belles portions existent déjà sur la côte d’Azur, 310 kilomètres restent à aménager soit les deux tiers du total de 460 kilomètres.
Pour tenir l’objectif, il faudra parvenir à mobiliser tous les acteurs et co-financeurs depuis le niveau intercommunal. Ce qui est loin d’être une évidence dans une région où encore beaucoup d’élus peinent à abandonner leurs priorités pour le tout voiture. Le changement c’est pas tout à fait pour maintenant.