Marseille-Alger : des retrouvailles sans se ruiner enfin possibles !
La foule s’étend sur plusieurs dizaines de mètres au pied de la cathédrale de La Major, à la Joliette. En famille, solitaires ou entre amis, petits et grands s’accrochent aux grilles qui les séparent du port autonome de Marseille. En face, le Badji Mokhtar III vient de s’amarrer à quai. Le paquebot algérien construit dans les chantiers navals chinois et livré à Alger en août fait sa première traversée. Il inaugure, en ce mardi 2 novembre, la reprise des liaisons maritimes entre la France et l’Algérie, à l’arrêt pour les voyageuses et les voyageurs depuis mars 2020. Crise sanitaire oblige.
Prévu pour onze heures, le ferry flambant neuf n’arrive que sur les coups de vingt heures. L’air est de plus en plus frais et la nuit de plus en plus sombre. La lumière des smartphones éclaire les mines tantôt fatiguées, tantôt surexcitées, de celles et ceux qui, depuis plusieurs heures, attendent leurs proches.
Pour tuer le temps, chacun s’occupe comme il peut. « C’est la fierté algérienne ! » lancent certains en filmant le bateau. D’autres passent des appels vidéo avec les leurs en Algérie pendant que les familles s’abritent dans les voitures en attendant que les premiers passagers foulent le sol marseillais. C’est le cas d’Asma, venue avec son mari et ses deux enfants chercher ses parents. « Cela fait deux ans que je ne les ai pas vus. Je suis ici depuis ce matin. L’attente est interminable », s’impatiente-t-elle. Sur ses genoux, sa fille de cinq ans montre fièrement un dessin « fait pour mamie ».
Quelques mètres plus loin, un couple attend sa fille, bloquée en Algérie depuis une année. « Elle a failli rater la naissance de son petit frère », plaisante la maman, la main sur son ventre arrondi par la grossesse. Sur place depuis 10 heures du matin, la fatigue se lit sur son visage et celui de son époux. La joie aussi. « La reprise des liaisons maritimes est un soulagement psychologique. On se dit qu’on est enfin libre. Qu’on va enfin revoir nos familles. » La quadragénaire ne cache toutefois pas sa crainte. « J’espère que ça va rester ouvert, qu’on puisse aller et venir sans avoir peur de rester bloqué. »
« On n’a même pas pu enterrer nos morts »
Pour endiguer la pandémie, le pays a coupé ses liaisons maritimes, aériennes et terrestres. Y compris à ses propres citoyens. Conséquence, des milliers de familles se sont retrouvées déchirées de part et d’autres de la Méditerranée. Les autorités algériennes dénombraient quelques 25 000 ressortissants bloqués à l’étranger à l’été 2020.
Pour y remédier, des opérations de rapatriement ont été organisées. Mais entre les fermetures et réouvertures des frontières, les consignes floues, le manque de places dans les avions et les prix exorbitants des billets, celles et ceux qui tentent de regagner le pays ont du mal à suivre la valse. Notamment les binationaux installés en France, pour lesquels les opérations de rapatriements ne s’appliquent pas.
Et même si les vols depuis et vers l’Algérie ont repris partiellement l’été dernier, le problème persiste. « Si tu n’as pas de piston et pas d’argent, tu oublies », lance une vieille dame venue récupérer des affaires envoyées par la famille avec des voyageurs du Badji Mokhtar III. « Maintenant qu’il y a ce bateau, je vais essayer de réserver un billet pour descendre en Algérie. Je peux payer 300 euros, mais 800 euros ou plus pour prendre l’avion, c’est trop ! »
Pour accéder au Badji Mokhtar III, les prix varient entre 200 et 300 euros. Selon si c’est une place en cabine ou en classe économique. Un montant bien plus attractif que celui des billets d’avion qui oscille entre 700 et 1000 euros. « Au moins là on peut voyager en famille sans se ruiner et avec la voiture », se réjouit un père de famille dans la file d’attente.
Le prix du billet, la frustration, la lassitude… Ces mêmes sujets animent les discussions dans la longue file d’attente à l’entrée du port autonome de Marseille, le 6 novembre pour le premier voyage de Marseille vers Alger depuis mars 2020.
Si certains affichent un grand sourire aux lèvres, d’autres ont du mal à contenir leur colère. « On se fout de nous. C’est normal qu’un pays ferme l’accès à ses propres citoyens ? » s’énerve Omar, qui a fait le déplacement depuis Lyon. « A chaque fois que j’ai essayé de rentrer, c’était soit impossible, soit trop cher. S’il n’y avait pas mes parents là-bas, j’aurais abandonné l’idée d’y retourner depuis longtemps », confie-t-il en roulant ses valises. Aujourd’hui, il est soulagé de pouvoir de nouveau rentrer en Algérie, mais il reste amer. « On n’a même pas pu enterrer nos morts. On rentre aussi pour aller au cimetière. »
Trajets complets jusqu’en janvier
Avec une capacité d’accueil de 1800 passagers, le Badji Mokhtar III n’assure, pour le moment, qu’une seule traversée par semaine, à destination d’Alger. « Avant on allait aussi à Oran, Béjaïa, Skikda et Annaba », regrette Malika Oufar, déléguée régionale Europe pour Algérie Ferries. On a déposé une demande auprès du ministère algérien des Transports pour augmenter les rotations. On n’a pas encore de réponse. »
Le ministère algérien des Transports a annoncé qu’il « examinera la programmation de voyages supplémentaires vers d’autres destinations selon l’évolution de la situation sanitaire du pays ». En attendant, la compagnie affiche complet jusqu’en janvier. « Dans les deux sens. Depuis et vers Marseille », précise Malika Oufar. Son concurrent direct, Corsica Linea, a aussi repris avec une liaison hebdomadaire entre Marseille et Alger. Du côté des avions, à l’échelle nationale, Air Algérie augmente légèrement ses vols depuis et vers l’Algérie. Mais à Marseille, la compagnie n’assure qu’un seul vol par semaine.