L’aéroport d’Avignon se crashe avec l'argent public

Pas une voiture sur le parking de l’aérogare rouge de « l’aéroport Avignon Provence », au sud de la ville. Et à l’intérieur, personne. Tout cela ressemble à du carton-pâte, à du fake. Normal puisque la dernière compagnie aérienne Flybe qui assurait des vols commerciaux vers Birmingham a fait faillite en mars dernier. Avignon enregistre tout de même 55 000 mouvements par an (décollage ou atterrissage), loin d’être ridicule face au 110 000 de Marignane par exemple. Ce chiffre s’explique par la forte activité de « loisirs » : aéroclub, ULM, maintenance etc. L’aéroport d’Avignon est devenu de fait un grand aérodrome, qui accueille également, et de plus en plus, de « l’aviation d’affaires », concrètement des jets privés très polluants.
L’activité commerciale de l’aéroport a commencé à chuter avec le départ d’Air France en 2005 et l’arrivée du TGV pour Paris et la proximité de Marignane à 45 minutes. À l’époque, 150 000 passagers y transitaient par an. Le chiffre est tombé à 12 000 en 2018. Propriétaire depuis 2007 de l’équipement, le conseil régional de Paca continue d’injecter des millions d’euros par an via une délégation de service public confiée à la chambre de commerce de Vaucluse. 7 millions en 2019, 13 millions en 2020 avec un lourd programme d’investissement. Et il rapporte très peu : le résultat net pour la région en 2018 était de 172 000 euros après impôts…
Gouffre financier
L’aéroport – qui vient de nouer un partenariat avec Audi – mise sur l’aviation d’affaires, pas peu fière d’avoir vu atterrir le jet de Barack Obama en 2019. En 2018, ce secteur a enregistré une hausse de 6 % tandis que l’aviation commerciale dégringolait de 118 %. La région a-t-elle vocation à financer les jets privés ? « Pas financer mais accompagner, tente Louis Biscarrat, conseiller régional Les Républicains, vauclusien et membre de la commission transports. Cette activité dispose d’un intérêt sur le plan économique pour le tourisme avec le Luberon à proximité par exemple. Nous sommes prudents avec la crise qui touche fortement l’aviation mais nous avons compris qu’il ne fallait plus miser sur les lignes commerciales. Nous estimons que cet aéroport a sa place pour des activités de niche. Et le fermer, en payant des indemnités aux entreprises installées, puis le démanteler coûterait plus cher que de l’entretenir ! » Aveu de faiblesse face à un équipement d’un autre temps.
« Ce n’est pas à nous de dire si tel ou tel outil mérite d’exister mais si la région le conserve c’est qu’elle a ses raisons !, tempête Catherine Moneger, responsable communication de l’UAF, le lobby des aéroports. Le maillage aérien est important en France, c’est un atout. Pour transiter les masques, nous étions bien contents ! Et puis l’aéronautique ce n’est que 2,8 % des émissions globales de CO2. Internet pollue aussi ! » Gaëtan Lazzana, qui suit le dossier pour la Fédération de la nature et l’environnement (FNE), déplore lui « tous ces millions investis pour un équipement inutile. Il y a l’aéroport de Nîmes à côté qui peut tout à fait répondre à ces besoins locaux, qui chutent ».
Pégase
Derrière tout cela se joue également la continuité de l’activité du technopôle Pégase, qui abrite un « hôtel d’entreprises » et une zone d’activité. Une entité du Pôle de compétitivité axé sur l’aéronautique Safe cluster, largement financé par l’argent public. De 2013 à 2016, l’association Pégase a englouti 12 millions de subventions dont près de 5 millions de la région. Pour quel résultat ? Lors de son installation en grande pompe en 2013, l’objectif du technopôle était de 1 000 emplois en 2023. Et on est loin du compte. Après moult sollicitations de la part des riverains, la région et la CCI ont produit une liste : 60 entreprises et 400 emplois. Mais sont comptés par exemple les 35 emplois du CPCTE, un centre de recherche sur la conserverie qui n’a « aucune activité en rapport avec l’aéroport », nous confie un responsable. Ou encore l’Hôtel Le Paradou avec ses 25 emplois qui accueille une dizaine de clients de l’aéroport par mois, sur 200 selon le réceptionniste. Au final, entre les entreprises radiées et celles qui n’ont pas de lien avec l’aéroport, l’association dénombre 150 emplois. « Un gâchis financier » pour l’écolo Olivier Gros, ancien conseiller municipal pour qui le compte n’y est pas, surtout pour un secteur aussi polluant.
« Ce n’est pas moi qui ait fait ce listing en détail, se défend Hubert Béranger, préposé au technopôle pour Safe cluster. L’hôtel d’entreprises est attractif. Et je trouve que la plateforme se développe, de nouvelles boîtes comme RTE viennent s’y installer. Alors on peut toujours faire mieux mais c’est positif. La transition énergétique ? Nous aurons besoin dans les 10 ou 15 ans de ces équipements avec une mobilité qui aura changé. » L’aéronautique est décidément toujours accrochée au monde d’avant. Sans parachute ?
NB : Ni la mairie d’Avignon ni la direction de l’aéroport n’ont donné suite à nos sollicitations.