« La rue a été mise à sens unique en pleine nuit ! »

A l’angle du boulevard, les feux de signalisation flambant neuf sont encore bâchés de plastique orange. Un panneau fluorescent met en garde : « Plan Faubourgs, mise en sens unique du boulevard Sixte Isnard à partir du 2 novembre. » Dans l’avenue Saint-Ruf perpendiculaire, les aménagements de voirie pour le tram, tout récents, contrastent avec les façades patinées et les nombreuses pancartes de commerces « à vendre » ou « à louer ». Quatre ans après la mise en service du tramway, Avignon passe à une nouvelle étape de sa politique de transports, en tentant par des travaux de réduire la circulation « de transit » traversant la ville, en créant dans ses quartiers sud des boucles de circulation qui en rallongerait le temps de parcours. Une réponse aux études, notamment de l’association de suivi de la qualité de l’air AtmoSud, qui pointent comme « zones prioritaires d’action » pour réduire la pollution les routes pénétrantes dans Avignon, sa rocade, ses remparts, et son centre-ville.
Arrêté anti poids-lourds
Mesure de bon sens ou posture anti-voiture ? Pour Mireille Garcia, gestionnaire de la maison de la presse de l’avenue Saint-Ruf et initiatrice d’une pétition contre le plan Faubourgs signée par plus de 2 000 personnes, la question est tranchée : « Déjà, avec le tram, on a encore plus d’embouteillages dans le quartier. La circulation qui était le long des remparts s’est reportée ici. Mais là avec les boucles, ça va être encore pire, autant pour les habitants que pour les professionnels. Comment les artisans ou les infirmières vont faire pour se garer, ils sont déjà obligés souvent de faire sauter des rendez-vous ! » Le Dauphiné Libéré à la main, un de ses clients acquiesce : « C’est vraiment n’importe quoi, j’ai dû être hospitalisé et quand je suis revenu, la rue que je prends pour arriver chez moi avait été mise en sens unique durant la nuit, je m’en suis rendu compte seulement en voyant les marquages vélos au sol. Dans le quartier, la police municipale a déjà mis plus de 400 PV pour non-respect des sens interdits. »
Rangeant ses courses dans les fontes de son vélo, Serge Gonzales, le président de l’association Bien vivre à Saint-Ruf attend de voir : « À Rouen, quand il a fallu fermer un pont pour faire des travaux, ils ont vu qu’une partie de la circulation ne s’était pas rabattue sur les autres quartiers, mais s’était reportée sur d’autres modes de transport. Est-ce que c’est ce qui va se passer ici ? Et si ça passe, dans quelle proportion ? Cela repose beaucoup sur la construction d’un parking-relais pour le tram, qui est dans les tuyaux, mais surtout sur l’arrêté anti poids-lourds. »
Au croisement de trois départements (Bouches-du-Rhône, Gard et Vaucluse) et autant de régions (Languedoc, Provence et Rhône-Alpes), Avignon est en effet traversée par une importante circulation de camions. « Cela ne représente que 12 % du trafic, mais 30 % de la place sur la route, souligne Fabrice Martinez Tocabens (Divers gauche), adjoint au maire de Cécile Helle (PS) pour une ville “apaisée et respirable”. Si on arrive à interdire leur circulation aux heures de pointe, on allège la rocade et on la fluidifie pour les automobilistes. » A plusieurs reprises, Marie-Josée Roig, ex maire (LR) d’Avignon, avait tenté de prendre des arrêtés anti-camions. Mais sur la rocade, avec ses 45 000 véhicules par jour, cela suppose l’aval du préfet, et l’État avait mis son veto. « Cette fois le préfet a vu qu’on avait un plan d’ensemble, et il a accepté le principe, assure Fabrice Martinez Tocabens. Nos techniciens travaillent avec ceux de l’État pour finaliser l’arrêté. On espère le voir mettre en œuvre au deuxième trimestre 2022. Ça va demander de l’adaptation de la part des transporteurs, mais la plupart sont des grosses entreprises déjà habituées à appliquer des réglementations, comme la non-circulation le dimanche par exemple. »
Raccord par l’autoroute
Mais tout comme les habitants des quartiers sud des remparts craignent un report massif de la circulation dans leurs rues, les maires des communes proches d’Avignon sont aux aguets. Particulièrement à Châteaurenard, ville où est implanté le marché d’intérêt national dont entrent et sortent nombre de camions qui traversent Avignon. « Tant qu’on n’a pas réalisé une liaison facile entre les autoroutes A7 et A9 à Orange, on risque d’avoir toujours autant de camions, met en garde Jean-Pierre Cervantes, élu municipal EE-LV. Le Conseil régional en a annoncé le financement en partenariat avec l’État. Mais c’est dans le cadre d’un plan à dix ans… Et dans l’intervalle, on commence à faire des travaux alors que les projets de transports en commun n’ont pas encore tous abouti. C’est un peu prendre le problème dans le mauvais sens. »
Pour la mairie, il s’agit au contraire de faire changer les habitudes dès maintenant, pour accélérer le mouvement vers les transports en commun. « Créer des nouveaux axes de contournement comme la liaison est-ouest [projet serpent de mer qui devait contourner Avignon par le sud], c’est faire du délestage qui ne dure qu’un temps, tranche Fabrice Martinez Tocabens. Chaque fois qu’on crée une nouvelle route, on finit par créer de la circulation supplémentaire. On n’est pas anti-voiture, on n’est juste pas pour le tout-voiture. Je suis moi-même commerçant, et je sais que je ne peux pas faire mes livraisons en tram. Mais si on attend que tout soit en place pour faire la bascule, on attend encore cinq ans de plus. Là, dès à présent, on essaie de réduire le transit et d’améliorer les transports en commun. »
Après trois mois de travaux, la mairie a mis en place au début des vacances les nouvelles boucles de circulation dans les quartiers sud, tablant sur les vacances pour que leurs 30 000 habitants trouvent leurs repères. Avec un engagement : une « phase de pédagogie » avant de passer à la répression et aux PV. Et la mise en place pendant plusieurs mois d’une cellule chargée d’identifier rapidement les éventuels dysfonctionnements et d’y apporter des solutions tout aussi rapides. Le jour de la mise en place du plan Faubourgs, les opposants se sont rassemblés devant la mairie.