« BNP, la banque d’un monde qui meurt ! »

La semaine dernière, pour 45 minutes de retard le Ravi avait manqué son accréditation pour la visite jupitérienne à Marseille… Alors, ce mardi 7 septembre, pas de panne de réveil : à 6h30 le mouvement de lutte contre l’effondrement écologique et le dérèglement climatique Extinction Rebellion (XR) a prévu une « action spectaculaire car inédite » dans le cadre du contre congrès mondial de la nature. En bon élève, le Ravi arrive donc à 6h27 à la station de métro de la Joliette, le quartier d’affaires de Marseille (2e arr.), lieu du rendez-vous.
Quelques mètres plus loin, des collègues très réveillés se plaignent déjà du retard de notre escorte. Mais ils ne sont pas au bout de leurs surprises. Lorsque Thibaut, ou plutôt « Verduron » – de son pseudo XR – arrive enfin, c’est pour nous annoncer que l’action a du retard, et qu’il serait peut-être mieux de patienter dans un café. Malgré les contestations et supplications diverses, ce prof d’une quarantaine d’années ne faiblit pas et ne divulgue ni le lieu, ni l’heure du show. Ce serait trop dangereux, un RG pourrait se cacher derrière nos cahiers à spirale ! En essayant de nous rassurer, il lance : « J’ai la conscience tranquille, parce que je sais que vous ne serez pas déçus. Je sais qu’il faut qu’on vous ait dans la poche. » Pour patienter, nous buvons notre café en pariant sur le lieu de cette « action spectaculaire ». Pour le Ravi, ce sera un feu d’artifice ou rien ! Les paris fusent et les réverbères sont encore allumés.
De son côté, Verduron cache son téléphone. Il communique avec d’autres coordinateurs de l’action et veut à tout prix éviter que l’information fuite, alors même que c’est un abonné du Ravi ! L’info arrive enfin : « C’est parti. »
Jeunes cadres dynamiques, militants et forces de l’ordre
Arrivés place d’Arvieux, au milieu des immeubles de bureaux et des jeunes cadres dynamiques, ni feux d’artifices, ni « Khmer vert ». Juste quelques 80 militants, majoritairement jeunes, prêts à en découdre… pacifiquement. Ils prennent tour à tour la parole, pendant que la police se déploie : « Nous sommes là aujourd’hui pour faire passer un message très important, alors que l’UICN est en train de se dérouler, à quelques kilomètres d’ici. Ce gros rendez-vous mondial pour la biodiversité est un énième sommet international organisé par Emmanuel Macron, pour mieux camoufler sa dramatique irresponsabilité face au crime climatique, et au crime contre le vivant qui est en cours. » Depuis une semaine, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature tient son congrès à Marseille, au Parc des expositions. L’objectif de cette association rassemblant à la fois des ONG, des Etats, des organismes gouvernementaux, mais aussi des grandes entreprises : définir « quels sont les enjeux les plus pressants pour la conservation de la nature et quelles mesures prendre pour y répondre ».
Les militants d’Extinction Rebellion n’y croient pas. Ils considèrent au contraire qu’il s’agit d’une opération de communication permettant d’organiser à la fois le greenwashing du gouvernement et celui de grandes entreprises polluantes. Une jeune militante des Amis de la Terre les condamnent : « Elles jouent un rôle critique dans le désastre climatique en cours, et le gouvernement a expressément invité des acteurs financiers, qui par leurs investissements, ont un impact irréversible sur le vivant. »
L’acteur financier qu’ils ont décidé de cibler ce jour-là, c’est la BNP, sponsor officiel de l’UICN. Qualifiée par cette même militante de « banque écocide », la multinationale est jugée responsable du dérèglement climatique : « Elle est sur le podium des plus grands pollueurs, et représente à elle seule plus du double des émissions à effet de serre du territoire français. » [1] Pour la jeune femme, il y a une contradiction à voir la BNP apporter des solutions à des maux dont elle est largement responsable.
Show parodique
A la fin des discours une musique perce difficilement à travers une grosse enceinte. Puis une comédienne membre du collectif entre en scène : « Est-ce que vous êtes chaaaaauds ? » Les militants assis en tailleur lui répondent d’une même voix enthousiaste. Ils ont l’air chauds !
Le spectacle qui s’ensuit parodie l’émission de télé « La France a un incroyable talent ». Quatre chaises aux noms d’Emmanuel Macron, Bruno Le Maire (ministre de l’Economie et des Finances), Cargill (entreprise spécialisée dans l’alimentaire et premier fournisseur de soja en France) et Société Générale sont installées devant une banderole : « La finance a un incroyable boniment ». Le principe : ces quatre acteurs doivent juger la qualité de l’opération de greenwashing orchestrée par la BNP. Celle-ci, incarnée par un sexagénaire à lunettes, a toutes les cartes en main pour convaincre le jury de l’ingéniosité de ses méfaits. Notamment, lorsqu’elle déclare lutter contre les mégots de cigarettes et les déchets plastiques alors qu’en parallèle elle est la banque qui a le plus augmenté au monde ses soutiens au gaz et au pétrole ! Le public apprécie et applaudit l’ingéniosité de la banque française. Tout aussi malicieux, ses autres arguments lui offrent la victoire de meilleur bonimenteur de l’année.
Finie l’ironie, place enfin à l’action. Les militants courent en direction du nouveau siège social de la BNP, dont le logo semble caché de honte par la façade bariolée du bâtiment. Ils tentent d’y pénétrer par les fenêtres du premier étage à l’aide d’échelles, mais les forces de l’ordre les leur arrachent immédiatement. Il faudra donc se contenter d’un jeu de questions-réponses -« BNP la banque d’un monde ? – Qui meurt ! »- scandées depuis le trottoir et sous le regard stupéfait des cadres de la multinationale. Derrières leurs vitres et leurs écrans de téléphone, ils filment l’action. Visiblement étonnés de se découvrir des ennemis.
Vers 9h30, les militants non violents abandonnent leur projet de blocage : « On n’est pas des martyrs, c’est trop risqué », se désole un militant d’XR. Et d’assurer : « Vous ne pouvez pas être plus déçus que nous. » Mais nous, nous ne sommes pas déçus. Le théâtre, ça nous avait beaucoup manqué !
[1] Sans compter qu’elle vient d’être condamnée pour discrimination envers trois syndicalistes…