« Macron a décroché, décrochons-le ! »
« Attendez, j’ai laissé mon ordinateur ! » Un petit monsieur grisonnant surgit dans la salle communale de la mairie de Nans-les-Pins (83), devant des militants en train de brandir un portrait de Macron tout juste retiré du mur et des banderoles « Climat, Justice sociale : Macron a décroché, décrochons-le ! ». « Ne vous inquiétez pas, on ne va pas y toucher ! » s’écrient de concert les membres d’ANV Cop21. « Non, mais c’est que j’ai fini de l’utiliser... » s’excuse le monsieur. Il gêne la prise des photos de l’action, Tom (1) l’accompagne vers la sortie.
Trois minutes auparavant, Nina, Antoine, Marie (1), Laurent, Pierre, Tom, Mathilde et les autres conspiraient encore à l’écart du parking de la mairie, face au massif de la Sainte-Baume. Leur objectif ce 5 juillet au matin : s’emparer du portrait du président de la République de la mairie, le 95ème depuis le début de l’opération nationale « décrochons Macron », en février. Leur méthode : l’action non-violente, qui donne ses trois premières lettres à leur association ANV Cop21. Leur look : varié, short et t-shirt, des âges entre la vingtaine et la soixantaine, des bouts de gilets jaunes dépassant des poches. Après une reconnaissance réussie, ils fondent à quinze sur le bâtiment bas, enfilant d’un seul mouvement les gilets floqués ANV Cop21. Une partie d’entre eux s’adressent à l’agent d’accueil pendant que le gros de la troupe marche d’un pas décidé vers la salle du portrait.
Les photos prises, le portrait du président est glissé dans un sac noir. À l’accueil, Marie (1), la soixantaine et l’autorité naturelle, engage la discussion avec l’adjointe à la sécurité, Aurore Padovani, cheveux blonds et air réprobateur, et le petit monsieur, un élu en fait. Elle évoque la « réquisition » du portrait d’une voix douce. Stupeur du petit monsieur : « Quoi, vous avez enlevé le portrait ? » Padovani s’enquiert d’une autorisation. « C’est une action non violente, Madame, expose Marie, mais ça ne veut pas dire que tout le monde est d’accord ! » L’adjointe saisit enfin : « Vous allez dans toutes les mairies pour décrocher les portraits ! Vous êtes passés à Auriol, Plan d’Aups, Saint-Maximin ? Ah ! Vous ne pouvez pas me le dire ! »
Chacun s’engouffre dans une des cinq voitures mobilisées. Depuis 10 minutes, la reporter du Ravi sait qu’une deuxième mairie doit être investie ce jour-là. Les façons de faire d’ANV Cop21 tiennent du film d’espionnage, mais au vu de la douzaine de procès lancés en France contre des militants pour avoir décroché des portraits, difficile de trouver qu’ils en font trop.
« Tour d’émotions » à la Sainte-Baume
En bon pèlerins du climat, les militants ont prévu un point d’étape sur les hauteurs de la Sainte-Baume. Jocelin, Laurent et Tom (1) veulent bien décrypter le décrochage : « Chacun sait ce qu’il a à faire, ça nous permet d’être rapides et sereins. » On peut être coordinateur, c’est-à-dire préparer toute une action, « médiactiviste » et prendre des photos pour diffuser l’action, ou encore « peacekeeper » et discuter avec les gens pour désamorcer les tensions… Un seul rôle par personne, qui change selon les actions. Pour transmettre tout cela, l’association organise des formations sur les principes et les formes de la désobéissance civile. Un brief de deux heures, sans presse, a précédé l’action de ce matin.
Le point, minuté, a lieu sous un arbre avec un cageot de pêches et des biscuits bio. Il commence par un « tour d’émotions » : « la rapidité m’a surprise ! », « c’était tout calme », « je suis content d’avoir décroché le tableau, je me suis senti proche du président ». Pour approuver, on agite les mains en l’air, façon « Nuit Debout ». Jocelin, 22 ans, s’est politisé au moment de la loi travail en 2015, et trouve une proximité entre ces deux mouvements. Il souligne aussi l’influence de la communication non-violente sur les méthodes d’ANV Cop21. Prof, il se sent proche du mouvement des gilets jaunes : « Quand on décroche Macron, j’y vois plus que le climat. »
Marie fait remarquer que l’adjointe a évoqué les mairies d’Auriol, de Plan d’Aups. Gêne dans l’assemblée. Visiblement, une de ces villes est la suivante. « Est-ce qu’on continue avec le risque qu’il y ait la police ? » Le groupe décide de mettre le premier portrait à l’abri, d’aller sur place et d’aviser. Un hélicoptère passe dans le ciel. « On est déjà surveillés », blague Tom.
La deuxième mairie est celle de Plan d’Aups. Et elle a bien été avertie : devant la porte, un cerbère en uniforme d’ASVP monte la garde. Les militants, en petits groupes, font mine de s’intéresser à un stand de vêtements situé en face. Il s’approche pour les observer, ferme à clé derrière lui… La décision tombe, il n’y aura pas de décrochage. Le groupe décolle.
« On vient chercher Macron ! »
La mairie de Nans-les-Pins a appelé ses voisines, et elle a même porté plainte. Ce 11 juillet matin, Laurent, Nicolas, Sabrina, Marie, Anaïs et Estelle sont convoqués à la gendarmerie du 10ème arrondissement de Marseille pour une audition libre. Un comité de soutien les accompagne, une trentaine de membres d’ANV Cop21, mais aussi d’Alternatiba, de Greenpeace, de Youth for Future, et même deux gilets jaunes sans leur costume. Pas de mise en garde à vue comme dans d’autres départements, mais des perquisitions chez quatre militants pour retrouver le portrait subtilisé. Succinctes, selon Laurent : « Dans la chambre où ma mère était allongée, un gendarme a juste passé la tête et crié « on vient chercher Macron !« » Laurent, 54 ans, s’est intéressé au climat après avoir dû arrêter le travail pour cause de maladie : « Je ne suis pas du tout écolo à la base, je suis logisticien, je faisais des projections d’entreprise. “L’entreprise terre” aussi est à gérer… J’ai vu les chiffres, les stocks, ça m’a complètement affolé. » Il s’inquiète pour les plus jeunes qu’il côtoie sur ses actions militantes : « Ils n’arrivent même plus à se projeter pour avoir des enfants ! Vers quoi on va ? »
Les gendarmes n’ont pas retrouvé le portrait du président. Fin août, il a rejoint 124 de ses semblables, pour une action lors du G7, à Biarritz. En attendant, ce 17 juillet à La Mède (13), il est de sortie, entouré de militants, dont un habillé en orang-outan, sur le « rond-point de la biodiversité » situé entre l’étang de Berre et la raffinerie Total, récemment reconvertie dans les biocarburants. L’« opération rappel à la loi », diffusée en direct sur Facebook, vise la multinationale, dont le PDG a déclaré vouloir changer la loi qui retire l’huile de palme de la liste des biocarburants défiscalisés. Les militants viennent remettre un agrandissement du texte de loi à la direction de la raffinerie. Ils sont stoppés par le personnel de sécurité. S’engage alors un dialogue de sourds. « Plus il y aura de silence, plus il y aura de colère en face ! s’émeut Sylvain, de l’association Canopée. Le message que vous nous envoyez, c’est de faire des actions de plus en plus fortes. »
1. À la demande des personnes concernées, leurs prénoms ont été modifiés.