Les Alpes du Sud entre deux versants
Pas de grand plan comme dans les années 60-70, ni de nouvelle loi, comme en 1985 et 2016, mais un simple programme porté par l’agence nationale de la cohésion des territoires. Alors que le changement climatique se fait de plus en plus sentir sur les sommets et les vallées, en particulier dans les Alpes du Sud, avec des glaciers et des stations de ski qui disparaissent, un enneigement de moins en moins naturel financé à coup de subventions, le gouvernement a décidé que pour l’avenir de la montage il était urgent de ne pas aller trop vite.
Pas question donc de sortir d’un modèle de développement centré sur la mono activité touristique. Secrétaire d’état aux ruralités et ancien élu des Hautes-Alpes, le moustachu Joël Giraud l’a rappelé par écrit au Ravi. « Le programme montagne est un programme d’ingénierie à destination des communes et EPCI (Établissement public de coopération inter-communale) de montagne pour les accompagner dans leur projet de territoire [vers] un tourisme durable », explique l’ancien député-maire PRG de l’Argentière-la-Bessée. Et d’insister : « Si le tourisme est l’un des principaux moteurs de leur attractivité, il doit désormais être également le levier de projets de territoires, en prenant en compte les enjeux d’énergie, de mobilité, d’urbanisme, mais aussi plus particulièrement de mise en valeur du patrimoine naturel et culturel de ces territoires (biodiversité, paysages…). » En résumé, le tourisme est plus que jamais central pour les territoires de montagne : se développer sur deux, trois ou quatre saisons, permettre la transition écolo, etc.
Or blanc et greenwashing
Directeur des Domaines skiables de France (DSF), le syndicat professionnel des opérateurs de remontées mécaniques et de gestion des stations, Laurent Reynaud ne doit pas se sentir trop menacé. D’autant moins qu’il parie, contrairement aux climatologues, sur un enneigement à l’identique jusqu’en 2050. DSF se concentre donc sur la transition écolo des stations : « La mise en œuvre de quinze éco-engagements dans 100 % des domaines skiables de France d’ici 2037, dont la neutralité carbone. » « C’est le ski qui fait vivre les stations et les vallées, la diversification ne peut pas être une substitution mais seulement un complément », juge ce polytechnicien, pour qui la montagne est autant « un des derniers espaces de liberté qu’une opportunité pour les gens qui y habitent ». Et de trancher : « Le débat sur le ski revient à chaque élection, mais les Hautes Alpes ce sont 140 000 habitants pour 1 million de touristes. »
« On ne passe pas de l’or blanc à l’or vert en claquant des doigts »
Buëch Coop, qui s’est un temps déplacé dans les hameaux isolés en camionnette. Il est aussi à l’origine de la foire locale, « Tous en bottes« , qui fêtera sa cinquième édition l’été prochain, et des combats pour la défense de l’environnement. « La montagne doit rester naturelle, mais elle a aussi besoin d’habitants, estime Hedy Aguercif de sa voix posée. Ça dépend de la mairie, parce qu’il faut des logements sociaux, des emplois locaux… »
« Il ne faut pas opposer les modèles, être dans la caricature. On ne passe pas de l’or blanc à l’or vert en claquant des doigts », assure Pierre Leroy. Président du Pays du grand briançonnais (1), il s’est installé du côté du mont Prorel il y a une quarantaine d’années. Il s’est d’abord beaucoup opposé comme militant écolo, puis a beaucoup construit en tant que maire du Puy-Saint-André, de 2008 à 2020. Il fait partie de ces élus qui font la transition : sous ses deux mandats, les consommations d’eau et d’énergie de la commune ont respectivement baissé de 75 % et 30 %, il a créé une société d’économie mixte dédiée à la production d’énergies renouvelables ouverte aux particuliers (lire notre article « qui SEM le soleil »)… « La transition écologique, c’est travailler autant sur le logement que sur l’alimentation, la mobilité ou l’autonomie énergétique et ce sont des enjeux créateur d’emploi », plaide cet ancien cadre de santé.
Pousser sur la bonne pente
Pierre Leroy applique également son credo aux stations de ski de son territoire. Dont celle de Serre-Chevalier, qui jouxte le Puy-Saint-André. S’il pousse au « tourisme endogène » et au développement d’autres activités de loisir, il regarde avec bienveillance le travail de la compagnie de Alpes, qui gère le domaine, notamment en matière environnementale : « Elle travaille sur son image, c’est à nous de la pousser dans le bon sens. » Un autre de ses credos est d’ailleurs « de faire avec les gens. »
Une modèle qui essaime. « Dans les Hautes Alpes, l’hiver ne représente que 56 % du chiffre d’affaire du tourisme. Il faut intégrer le ski à des projets à l’année, mais aussi rechercher d’autres activités, sortir des seules stations et faire de la dentelle selon les territoires », propose Vincent Neirinck, chargé de mission pour Moutain Wilderness, une association de sauvegarde de la montagne. Plutôt bienveillant sur le programme montagne du gouvernement, il a coorganisé les états généraux de la transition du tourisme de montagne en novembre dernier. L’occasion pour lui aussi de « faire avec » et d’ouvrir les horizons : « Sur les états généraux en Tarentaise, la vallée qui fait référence en France (2), on a eu une trentaine de communes dont la moitié n’avaient pas de domaine skiable. Ça permet des réflexions différentes et de sortir des oppositions. »
Mais changer le système de l’or blanc est loin d’être simple. Des maires sont tombés aux dernières municipales parce qu’ils portaient des projets de remontées mécaniques, comme à Saint-Véran (lire notre test d’un conseil municipal). Il existe aussi des alternatives, portées par des néoruraux ou des montagnards qui reviennent chez eux, autour de productions locales (liqueurs, transformation des plantes, fromage, miel…). Mais il y a des limites. « Il faut une clientèle et les seules solutions ce sont les touristes et le repeuplement. Mais à cause des problèmes de mobilité, on est plutôt en déclin démographique », note la sociologue Cécilia Claeys du Laboratoire Population environnement développement d’Aix Marseille Université.
Cette spécialiste de la montagne a travaillé en 2020 avec ses étudiants sur la station de la Ceüze, dans le Buëch. Parmi les premières stations créées, ses remontées sont arrêtées depuis 2017. Pourtant Ceüze a continué à être active grâce aux locaux qui y pratiquent luge, raquettes, randos… « C’est un cas d’école, parce que ce sont les usagers qui font la transition avec leurs pratiques, se réjouit Cécilia Claeys. Le challenge pour les élus, c’est de valoriser ces pratiques pour valoriser l’économie locale. »
Avec un bémol : « Les stations sacrifient des espaces pour en protéger d’autres. Si tout le monde se met au slow sport, il va y avoir une pression plus forte sur les milieux sensibles. » Un risque d’autant plus grand qu’avec son programme montagne le gouvernement semble décidé à sortir la machine à cash pour développer ces nouvelles activités.
1. Le Pays Grand Briançonnais est un pôle d’équilibre territorial et rural qui regroupe 36 communes et trois communautés de communes des Ecrins au Queyras.
2. La Tarentaise dispose du premier domaine skiable mondial.