Grave discorde autour du téléphérique
Un espace montagneux unique et préservé, aux confins de la région, et une station de ski qui n’en est pas vraiment une. La Grave-la Meije (05) est la « Mecque » européenne du ski freeride (hors cadre prévu) et les pistes ne sont pas damées sur le domaine. Une seule remontée mécanique, un téléphérique à deux tronçons, construit dans les années 1970. Enfin, deux remontées pour dire vrai : sur le glacier de la Girose qui culmine à près de 3600 mètres d’altitude, un téléski devrait être bientôt démonté pour laisser place à un troisième tronçon du téléphérique qui grimperait jusqu’au sommet du glacier.
Ce téléski est un outil d’un autre âge qui marche au fioul et nécessite le travail de pelleteuses l’été sur un glacier qui fond déjà à vue d’œil. Ce projet d’extension du téléphérique est porté, via une délégation de service public, par la SATA (Société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez), qui gère historiquement l’exploitation de l’Alpe d’Huez mais aussi celle des Deux Alpes depuis le mois de décembre et de la Grave depuis 2017. Il doit être mis en marche en janvier 2023. En dehors du ski (l’hiver et l’été), la SATA mise sur le tourisme « contemplatif » pour attirer une nouvelle clientèle : une vue imprenable à 360° sur toutes les Alpes.
Les promoteurs du projet, comme le directeur des opérations de la SATA Yann Carrel, le qualifient « d’écologique » : « On ne construit pas sur le glacier. La gare d’arrivée, très intégrée au paysage, sera sur un piton rocheux et un seul pylône de 45 mètres sera installé, sur de la roche également. Le tout à l’électrique. L’objectif est d’avoir un minimum d’impact et, j’insiste, de respecter l’ADN si spécial de La Grave. »
Un tiers d’argent public
Le coût de ce troisième tronçon est estimé à 11 millions d’euros, financé pour un tiers par de l’argent public : 2,2 millions pour la région Paca (1), 1 million du département des Hautes-Alpes et 500 000 euros de la mairie. Si les élus locaux sont tous pour, cet aménagement est loin de faire l’unanimité localement. Le collectif « La Grave autrement », 800 adhérents revendiqués, ne veut pas de cette extension qui dénaturerait le site. « Des pistes sur un glacier, c’est une vision d’une autre époque », commente Niels Martin, membre du collectif et habitant de La Grave. Le collectif réclame un moratoire, le temps de pouvoir proposer un projet alternatif, actuellement travaillé par un bureau d’études, en le soumettant à un référendum local.
Le plus écologique serait encore de ne rien construire. « À 3 200 mètres, l’espace est déjà formidable, poursuit Niels Martin. Cela pourrait être le point de départ pour des balades sur le glacier ou de courses d’alpinisme. La Grave est la seule station où il est possible de pratiquer l’alpinisme au pied d’une remontée mécanique. Profitons-en ! On pourrait aussi créer un centre d’interprétation des glaciers et bâtir un refuge. Proposer quelque chose de nouveau mais à un coût bien moindre ! » Le collectif évoque aussi un « engrenage » et, même si le directeur de la SATA et le maire de La Grave jurent par leur grand dieu que ce n’est pas à l’ordre du jour, cet équipement pourrait être le prélude au projet de liaison entre les deux stations de l’Oisans et La Grave pour créer l’un des plus grands domaine au monde. Aucune réponse n’a été apporté par les collectivités au sujet de ce moratoire alors que doit débuter l’enquête publique ce mois-ci.
Toujours plus
Deux visions du développement économique et touristique s’opposent. Selon le maire de La Grave élu en juin dernier, Jean-Pierre Pic, ce projet est primordial pour l’avenir du village. « Je veux que mes enfants et petits enfants puissent rester et vivre décemment ici ! Je trouve l’attitude du collectif égoïste, ce sont des gens qui ne travaillent pas ici, qui partent huit mois au Népal et ne viennent prendre que le bon de La Grave. Cela m’énerve. C’est un bon projet, pas une fuite en avant, je travaille pour mon pays. »
Tout proche du parc national des Écrins, l’aménagement ne présenterait pas d’impact sur le cœur du parc selon une étude en cours menée par le conseil scientifique. Ce qui n’empêche pas le directeur du Parc, Pierre Commenville, de trouver « dommage » l’installation de ce dernier tronçon et qu’on ne puisse penser un modèle économique préservant le milieu : « Le glacier est en extinction, on ne le protège pas de cette façon. On aurait pas fait mieux il y a cinquante ans… Et la possible liaison avec les Deux Alpes est une vraie question. Qui nous dit que cela ne se fera pas dans dix ou vingt ans ? »
Une liaison que prévoyait le SCOT (schéma de cohérence territoriale) de la communauté de communes de Briançon en 2016 avant que cette mention ne soit finalement abandonnée sous la pression d’associations comme Mountain wilderness. Pour cette dernière, la compétition entre stations est devenue nocive : « La démarcation ne se fait que par les aménagements, souligne Vincent Neirinck, chargé de mission. Le nombre de kilomètres de pistes, des liaisons, le nombre de canons à neige… Il faut stopper cette logique. Que les stations se démarquent par leur spécificité. Et à La Grave, c’est le ski nature. La station pourrait proposer une véritable expérience de glacier à 3200 mètres sans construire ce troisième tronçon. Bien plus que de prendre une benne, une photo Instagram et redescendre… » Il alerte également sur les leçons de la crise sanitaire qui a révélé la fragilité des stations de ski. Elles se devraient de trouver un nouvel équilibre en pensant le « monde d’après » à l’échelle de la montagne. Sinon, gare à la chute.
1. Le conseil régional n’a pas souhaité nous répondre.