Embouteillages au Ventoux
Pas un kilomètre sans plastiques abandonnés sur le bas-côté. Sur les 20 kilomètres entre Sault et Le Chalet Reynard, d’indélicats cyclistes se sont débarrassés de leurs emballages d’encas anti fringale. Faisant fi des poubelles installées par le département, spécialement conçues pour jeter sans s’arrêter de pédaler. En ce 6 juillet, veille de double ascension du mythique Ventoux par le Tour de France, le reporter du Ravi parvient à rallier le sommet à la faveur d’un temps frais et nuageux. Il se réjouit d’une pause offerte par la rencontre avec un renard qui se laisse approcher, comme accoutumé à la présence humaine.
Le lendemain, ce sont 150 000 à 200 000 spectateurs qui se massent pour s’extasier du coup de pédale des professionnels. Le fiasco de l’étape de 2009 est évité. 20 tonnes de détritus avaient été laissés par terre par le public et collectés. Combien d’autres sont restés dans la nature ?
Camions bennes
Cette année, sur les trois camions bennes prévus pour le ramassage, un seul a été rempli. « Environ 3 m3 de micro-déchets ont été ramassés », précise un communiqué du tout jeune parc naturel régional du Mont Ventoux (1). Pour préserver la flore fragile du sommet, les agents du PNR avaient dressé des filets de protection et des panneaux d’information, tout en étant présents le jour J. « Nous nous devions de garantir la préservation de notre Géant de Provence. Le parc naturel régional agit donc aux côtés de l’organisateur du Tour et du département de Vaucluse pour assurer la protection des milieux naturels », s’est satisfaite Jacqueline Bouyac, la présidente du parc – et nouvelle championne du cumul en Vaucluse (2).
« Réserve de biosphère, cela devrait être un sanctuaire »
Mais les déboires environnementaux ne sont pas qu’une affaire d’immondices. « Un hélico vole en permanence au-dessus des coureurs. Vous imaginez le dérangement pour la faune locale ! », plaide Jean-Luc Deveaux qui représente la Ligue de protection des oiseaux (LPO) au sein des instances du PNR. Sans compter celui des 70 motos et 500 voitures de la course et de la caravane publicitaire. « Le sommet est classé en réserve de biosphère par l’Unesco, ça devrait être un sanctuaire », ajoute l’écologiste attablé à une terrasse d’un café de Malaucène, redevenue calme au lendemain de la cohue de l’arrivée d’étape.
La surfréquentation est le lot du quotidien de la belle saison : 700 000 visiteurs dont 130 000 cyclistes tous les ans. « Victime de son succès, cette fréquentation du sommet génère un trop fort impact sur les milieux naturels : piétinement et dégradation des éboulis sommitaux et de sa flore exceptionnelle… », affirme le parc sur son site internet. Alors, des travaux d’aménagement ont été engagés avec le département. Objectif : mieux concilier les différents usages du site avec la protection de la nature. Livraison prévue à l’automne. Pour les écologistes, la construction de nouveaux parkings est inadaptée. « Avec France nature environnement et d’autres associations on préférerait que le sommet ne soit plus accessible aux voitures. Les visiteurs laisseraient leurs véhicules au Chalet Reynard ou au Mont Serein et emprunteraient des navettes », expose Jean-Luc Deveaux.
Sur-tourisme
Dans les villages du pied, qui comptent plus de magasins de vélos que de boulangeries, des voix s’alarment aussi sur les effets d’un sur-tourisme. Les associations Sauvegarde du patrimoine de Malaucène (Spam) et Collectif citoyen Bédoin Ventoux dénoncent des déséquilibres induits pour les habitants : un urbanisme non maîtrisé, des difficultés à se loger à cause de l’envol des prix de l’immobilier en plus d’une offre d’emplois précaires et saisonniers.
Ancien membre de l’association de Bédoin, le flamand Jan Leemans s’agace des avantages offerts par les communes aux courses cyclo-sportives qui attirent des milliers de participants. Pour les maires, elles sont synonymes de prospérité, alors ils mettent à disposition salles communales et espaces publics. « A 6 heures du matin le jour de la course, tu ne dors plus tellement il y a de la musique et tout le bazar. Ils gèrent le trafic avec des bonshommes qui ne parlent même pas français. Les communes donnent leur souveraineté », juge l’habitant de Bédoin. La plus courue, La Cannibale, s’élancera cette année de Malaucène le 11 septembre3.
Mais pour le Tour de France cette année, « cette fois-ci c’était beaucoup plus civilisé », observe Jan Leemans, notamment grâce à l’interdiction d’accès motorisé au Ventoux dès la veille. Autre satisfaction, les grands projets inutiles de vélodrome à Bédoin (Cf le Ravi n°161) et de résidences de tourisme à Malaucène (cf le Ravi n°177) ont été abandonnés. L’espoir d’une présence cycliste plus respectueuse serait-il permis ?
1. Dernier né des PNR de Paca, le parc du Mont Ventoux a été créé par décret le 28 juillet 2020.
2. A l’instar d’un Pogacar cumulant les maillots distinctifs, l’ancienne directrice d’école aligne les mandats : présidente de la Cove, vice-présidente LR de la région au renouveau démocratique (sic) et conseillère municipale de Carpentras élue sur la liste du maire DVG Serge Andrieu.
3. Appelée ainsi en hommage au surnom de son parrain, la légende cycliste belge Eddy Merx. 173 kilomètres et 4500 mètres de dénivelés au programme.