Les plumes et le goudron
Au pied de la Sainte-Baume, parc naturel régional depuis 2017, le village de Signes s’est fait tristement connaître des médias nationaux le 5 août 2019. Ce jour-là, son maire, Jean-Mathieu Michel, était tué par une camionnette dont il voulait verbaliser les occupants qui déversaient illégalement des gravats dans la nature. Une nature sans cesse menacée qui ne laisse pas une minute de répit aux 2 800 âmes de ce coin de verdure. Vu du ciel et de la route, le quartier de Croquefigue apparaît comme une plaie poussiéreuse qui vient balafrer le poumon vert de la région. La carrière Lafarge est installée là depuis plus d’une dizaine d’années pour approvisionner les entreprises du BTP varois.
L’arbre qui cache le bitume…
Comme si ça ne suffisait pas, en septembre 2016, le préfet Videlaine autorise par arrêté la société Braja Vésigné à exploiter la carrière de granulats du groupe en y installant sa centrale d’enrobé goudron à chaud et à froid. L’entreprise initialement installée à La Seyne-sur-Mer est démontée puis reconstruite dans la Sainte-Baume. Une usine à goudron au bord de la Méditerranée ça fait tache alors qu’au milieu d’une forêt, elle est cachée par les arbres… Si la préfecture donne son autorisation, c’est sans l’aval du commissaire-enquêteur qui s’était prononcé début 2016 contre l’implantation de cette centrale pour des raisons environnementales. Le défunt maire avait quant à lui signé le permis de construire contre l’avis de son conseil municipal.
L’association Signes environnement (1), 900 adhérents, lutte depuis quatre ans contre l’usine à goudron. Elle pointe du doigt le risque de pollution et les rejets dangereux de dioxyde d’azote, dioxyde de soude, benzène, et autres joyeusetés. « Mais aussi le risque d’accident lié au ballet incessant de camions qui s’ajoutent à ceux de Lafarge et de Veolia, alors que nos deux écoles sont situées de chaque côté de la nationale », souligne Michel Larivière, président de l’association. Après quatre ans de combat judiciaire, l’association commence sérieusement à désespérer… Le 15 juillet 2019, le tribunal administratif de Toulon abroge l’arrêté préfectoral, les juges s’appuient alors sur l’incompatibilité de l’exploitation avec le plan local d’urbanisme soulevé par Signes environnement. La société Braja Vésigné fait appel de la décision. En date du 22 juillet 2019, le préfet publie un nouvel arrêté demandant à la société de fournir dans un délai de cinq mois, un dossier répondant au code de l’Environnement et mentionnant les impacts de son activité. Pendant ce temps-là, l’exploitation du site est toujours autorisée à fonctionner.
Covid oblige, l’audience en appel, repoussée, s’est tenue finalement le 18 septembre 2020. Soit dix mois plus tard. Résultats : la cour administrative d’appel de Marseille juge que l’argument notamment de non conformité au PLU ne tient plus et déboute la décision du 15 juillet 2019. Par contre, elle retient l’un des éléments soulevés par l’association selon lequel « l’avis environnemental n’a pas été rendu par une entité interne disposant d’une autonomie réelle à l’égard de l’auteur de la décision attaquée ». Elle demande donc à ce que, d’ici quatre mois, la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) rende ce nouvel avis. Si des irrégularités sont constatées, une nouvelle enquête publique de six mois suivra. Bref, dans dix mois au plus tard la cour d’appel dira si oui ou non l’autorisation d’exploiter est légale. En attendant, elle sursoit sa décision et la centrale peut toujours continuer de tourner…
Régulariser à tout prix
« Le juge a considéré que c’était régularisable sur un vice assez important puisqu’il a affecté la légalité de l’autorisation en 2016. Imaginons qu’au final l’autorisation ne soit pas accordée. Eh bien pendant tout ce temps, Braja aura pu exploiter, non sans conséquences sur l’environnement », soulève Me Thibault Stephan, l’un des avocats de l’association. Cette dernière a aussi découvert que, le 7 juillet 2020, la ministre (2) de la Transition écologique et solidaire a envoyé un courrier à la cour administrative d’appel demandant un sursis à statuer afin de permettre à l’administration de régulariser la procédure. « C’est de l’ingérence !, s’indigne Michel Larivière. Et ça va à l’encontre de la charte et de l’objet même de l’existence d’un parc régional créé à leur initiative ! » Signes environnement compte se pourvoir en cassation.
Du côté de Braja Vésigné, on n’a visiblement rien à se reprocher. La direction dénonce une campagne de dénigrement. « Que ce soit en terme de pollution ou de trafic routier, nous respectons strictement les normes qui ont été fixées dans le cadre de l’autorisation qui nous a été délivrée par le préfet, souligne Olivier Braja, directeur général. Certains mènent une campagne contre notre activité en utilisant des arguments totalement faux, comme une prétendue utilisation de “goudron à caractère cancérigène” alors que notre activité n’en utilise pas. »
Jusqu’ici Signes environnement se battait un peu seule contre l’usine à goudron. Mais depuis juin, elle espère être suivie par d’autres communes alentour et par le comité du parc régional. En effet, l’ancienne présidente de l’association, l’écologiste Hélène Verduyn, a été élue maire de la commune et en quelques mois elle est parvenue à fédérer. « Étrangement on arrive mieux à se faire entendre quand on est élue que lorsque l’on est présidente d’une petite association », ironise l’édile. « A travers cette affaire, on juge le présent et l’avenir. Pour empêcher que d’autres aient envie de venir s’installer ici », souligne Michel Larivière. Et la maire de conclure : « Si une entreprise se rend compte qu’à Signes des associations et des élus veillent au grain, et qu’elle ne peut pas faire n’importe quoi, alors ça la fera réfléchir à deux fois. »
1. L’association a lancé une cagnotte en ligne pour payer leurs avocats.
2. Elisabeth Borne ou Barbara Pompili ? Le courrier est daté du 7 juillet, jour de la passation des pouvoirs entre les deux ministres. Et la signature est celle d’une collaboratrice.