La petite bière dans la prairie
Au Mas Ribelly, c’est le branle-bas de combat. Un marché de Noël est prévu à la ferme, à Entraigues-sur-la-Sorgue, près d’Avignon. Valérie et Ghislain Sevenier s’affairent entre leur petite boutique et le pré. À côté du Père Noël et des œufs, un produit phare trône sur les stands : une bière bio La Ribelly, brassée à la ferme avec du houblon cultivé à quelques mètres.
Si l’on n’était pas en plein hiver, les badauds pourraient même voir s’ériger les grandes tiges de cette plante grimpante aux cônes amérisants. Bien au chaud sous la terre, les graines attendent le printemps pour émerger. En attendant, les deux agriculteurs font pousser de « l’engrais vert » entre les rangées. Des plantes prévues pour enrichir le sol en azote et utilisées comme paillage une fois coupées.
Car ici, pas de pesticides, d’engrais chimique, ni de machines. Ghislain utilise le fumier des poules, désherbe et récolte à la main son houblon. Plus loin, dans une petite véranda mal isolée et qui prend l’eau, il brasse, il fermente, il embouteille, il étiquette. Avec trois mètres cube produits par an, La Ribelly est presque un produit rare.
Une histoire de famille
Une boisson qui n’aurait pas vu le jour sans la volonté de Valérie de revenir à la terre et à la passion de Ghislain pour la bière. En 2015, la future agricultrice est employée à mi-temps comme chargée d’exploitation dans un lycée agricole. Après une formation « éco paysan » et plusieurs stages, elle se lance dans un élevage de poules pondeuses à Entraigues. « Ma grand-mère avait acheté ce mas. Mes parents n’étaient pas agriculteurs mais y habitaient. Ils vieillissaient et je ne voulais pas me séparer de la maison », se souvient-elle. Avec les poules pondeuses, la bière a été un moyen de faire vivre la ferme, et garder le mas. Une affaire de famille qui se transmet. Alors que Ghislain et Valérie s’occupent de nous accueillir, leur fille de 14 ans tient la boutique.
Au Mas Ribelly, la première graine du projet bière germe en 2017. Le lycée agricole reçoit un appel d’offres de l’association La Bière de Provence. L’objectif : développer une filière du houblon en Paca, soutenue par un fonds de l’Union Européenne. C’est finalement le Mas Ribelly qui récupère le dossier et plante une centaine de pieds de houblon.
« C’est un produit festif ! »
Depuis les premiers semis, Ghislain s’occupe de tout le processus. Bien qu’il ne soit officiellement que conjoint collaborateur de sa femme, propriétaire de l’exploitation. Informaticien à plein temps à l’Institut national de la recherche agronomique, ce néo-agriculteur, qui a grandi en HLM, consacre tout son temps libre à la bière. « C’est un produit que je trouve festif, qui est agréable à partager. J’avais eu l’occasion de faire un stage dans une brasserie et j’ai trouvé ça beaucoup plus facile à faire que je n’imaginais », détaille celui qui a commencé en amateur. Depuis, l’ingénieur-agriculteur-brasseur est passé par une formation à l’IUT d’Avignon pour se perfectionner.
Il récite par cœur le houblon qu’il a planté, « fuggle, magnum, willamete, saaz, nugget, late cluster, chinook, glacier, tradition, centennial… », dans un anglais un peu hésitant. La plupart des variétés viennent d’Angleterre ou des États-Unis, choisies dans le projet de la Bière de Provence. Enhardis, Valérie et Ghislain ont même essayé de planter des houblons qu’ils ont choisi eux-mêmes, ce qui n’a pas été une franche réussite…
Artisan paysan
Car dans un monde standardisé, où les produits agro-alimentaires tendent à être des copies conformes, le Mas Ribelly fait le pari de produits paysans. Ils expérimentent, changent de recette, testent des variétés… Et tant pis si le goût n’est plus le même d’une fois sur l’autre. La Ribelly se cherche encore. Dans ses recettes, Ghislain utilise du malt ou du blé, du houblon, du miel local, des levures et de l’eau. Faute de trouver du malt plus près, l’ingénieur se fournit auprès de malteries drômoises et ardéchoises. Puriste, il aimerait acheter de l’orge local à un ami et fabriquer sa propre malterie pour faire une bière ultra-locale. Des travaux manuels qui ne lui font pas peur : démonté et remisé dans un petit placard, un séchoir à houblon construit par Ghislain, attend la prochaine récolte.
« Aujourd’hui notre bière est commercialisée à 95 % en vente directe ici, en Amap ou dans la supérette du village. On veut garder la possibilité de parler de nos produits », explique Valérie. La Ribelly a aussi intégré un marché de producteurs, “La Banaste”, et s’est même fait courtiser par un restaurateur parisien, qui l’a mise à sa carte. Le côté bio, local, et paysan fait mouche. « Les gens cherchent des produits de qualité. On vit à la campagne, on respecte la nature. C’est notre façon d’apporter notre pierre à l’édifice pour vivre dans une meilleure planète », poursuit l’agricultrice, qui cite Pierre Rahbi, décédé peu de jours auparavant.
Mais alors, la bière du Mas Ribelly, ça donne quoi ? La gamme est variée : blanche au blé, blonde au miel, ambrée au malt caramélisé, bière de Noël, bière au gingembre… Avis aux grands connaisseurs qui cherchent des goûts amers et tranchés, La Ribelly n’est pas sur ce créneau. Les différentes bières se singularisent par des goûts doux et variés qui pourraient plaire au plus grand nombre, avec des petits “défauts” (dépôts, bière trouble). C’est aussi ça, une bière paysanne…