Etang de Berre : l'État victime d'anoxie

avril 2020 | PAR Jean-François Poupelin
Les communes de l'étang de Berre se sont mises au diapason des associations écolos pour exiger la préservation de cette lagune unique. Martigues a déposé une demande de classement au patrimoine mondial de l'humanité et plusieurs procédures judiciaires sont en cours. Suffisant ?

C’est la goutte d’eau ou plutôt les 40 millions de m3 d’eau douce de trop. Début mars, le Gipreb, le syndicat mixte de surveillance de l’étang de Berre (1) qui rassemble les dix communes du pourtour de cette lagune unique en Europe, a déposé une plainte contre l’État et EDF dans le désastre écologique qui a frappé l’étang à l’été 2018.

Il y a presque deux ans, une importante crise d’anoxie (manque d’oxygène) a détruit tout une partie de l’écosystème de cet étang d’eau de mer. Parmi les principales victimes : les palourdes, les anguilles ou encore les herbiers de zostères. Si l’État a pointé du doigt l’absence de vent et les fortes chaleurs, le Gipreb et les associations de défense de l’environnement dénoncent, elles, les rejets d’eau douce et de limons de la centrale EDF de Saint-Chamas. Ce que tend à prouver l’expertise indépendante remise fin février. « Il y a clairement eu des négligences et c’est une situation que l’État accepte », assure Raphaël Grisel, le directeur du Gipreb. Et d’expliciter : « La plainte acte aussi l’échec de la concertation avec l’État. Il refuse des solutions qui pourraient ramener de l’eau de mer et de l’oxygène dans l’étang ,et travaille sur des demandes de dérogation auprès de l’Europe plutôt que d’atteindre un bon état des eaux comme il s’y est engagé. »

Et pour cause : l’écosystème de l’étang de Berre n’a jamais été une de ses préoccupations. Du mercure de la poudrière de Saint-Chamas (sous Louis XIV) aux rejets de l’industrie pétrochimique et de la sidérurgie depuis les années 50, en passant par les rejets par EDF de l’eau douce et les limons pollués (pesticides, etc.) de la Durance, qui reste aujourd’hui et de loin la principale pollution, l’étang est le réceptacle de tout ce dont on ne sait plus quoi faire. Il a fallu une première action en justice pour arrêter le massacre. « Au milieu des années 90, deux pêcheries de l’étang se sont appuyées sur une proposition de loi que l’on défendait, visant à relancer la pêche qui était interdite depuis 1955, pour demander à reprendre leur activité », se rappelle Hubert Jaussaud, un des cofondateurs de l’Étang Nouveau, une association de défense et de sauvegarde de l’étang de Berre créée à la fin des années 80 (2).

Massacre à l’eau douce

Très critique à l’égard des communes et de leur volonté de préserver l’étang, cet ancien prof jubile : « Finalement, les pêcheries ont eu gain de cause devant la cour européenne de la justice. En 2004, la France a donc été condamnée et a été obligée de baisser le volume de rejets d’eau douce. Avec des effets très positifs. » Résultat, jusqu’à l’été 2018, les herbiers sont passés de moins d’un hectare à plus de dix-huit, l’étang disposait du deuxième stock de palourdes d’Europe, etc. « Aujourd’hui, on repart de zéro », se désole Raphaël Grisel du Gipreb.

Saluée par tout le monde, la démarche de classement de l’étang au patrimoine de l’humanité (Unesco) initiée par Martigues en 2016 risque elle aussi de ne pas peser bien lourd. D’abord, parce qu’avant de pouvoir postuler il faut qu’une vraie réhabilitation soit lancée. Ensuite, parce qu’un classement n’a pas que des avantages. « Ce qu’on nous promet, c’est la Costa Brava. Le risque, c’est de rouvrir les immenses appétits des promoteurs immobiliers qui ont dans leurs cartons des ports de plaisance, des marinas. Avec les pollutions et la destruction de plantes sous-marines qui vont avec », craint Mireille Quintavala de la FNE 13.

Acquiescement de Raphaël Grisel, du Gipreb : « Il y a de bons exemples, mais le classement Unesco a souvent accéléré les dégradations plutôt que la restauration. Il y a une pression touristique et des enjeux économiques qui dépassent ceux de la protection. » Les amateurs de palourdes ou de poutargue de Martigues locales risquent encore d’attendre longtemps…

1. etangdeberre.org

2. Dans la dernière crise écologique, l’association a porté plainte dès 2019 auprès de la commission européenne pour déterminer les responsabilités.