« L'humain est au centre du projet »
Suzanne Guilhem est présidente de la Fédération de la Ligue de l’enseignement des Bouches-du-Rhône depuis les années 2000. Et membre du conseil d’administration national depuis 2006. Cette ancienne professeure de mathématiques est arrivée à la FAIL 13 par l’amicale laïque de Callelongue-Sainte Anne qu’elle a créée, avec d’autres, en 1984 et qui y est affiliée. Celle qui se décrit comme « un maillon parmi tant d’autres » insiste sur le travail d’équipe, marque de fabrique de La Ligue de l’enseignement, qui permet aux projets d’aboutir. Rencontrée au Frioul, en mars dernier, elle nous parle du projet « J2R », des ambassadeurs de citoyenneté et du vivre ensemble. Entretien.
Le Ravi : En quoi consiste le projet Jeunes des deux rives (J2R) ?
Suzanne Guilhem : Dans nos centres sociaux, nous avons des activités pour les ados et les jeunes adultes. On s’est demandé de quelle façon on pouvait impliquer un peu plus les jeunes. Les colonies de vacances ce n’était pas ce qu’il leur fallait. On a eu une autre vision. Depuis près de 4 ans, avec Animateurs sans frontières et Solidarité laïque, nous essayons de développer des projets internationaux, entre les deux rives de la Méditerranée mais pas seulement puisque certains partent en Allemagne. Avec les années le projet a pris de l’ampleur et de plus en plus de séjours sont organisés.
En quoi consistent ces deux jours de formation au Frioul ?
Depuis deux ans, nous organisons un mini séminaire au Frioul. Il s’agit là de réunir de jeunes adolescents et adolescentes entre 14 et 20 ans, tous issus des huit centres sociaux que gère La Ligue de l’enseignement des Bouches-du-Rhône mais aussi d’associations limitrophes. Le but est de former de jeunes ambassadeurs en lien avec les chantiers internationaux qui sont déjà mis en œuvre. Nous les formons aux valeurs de la République afin qu’ils deviennent eux-mêmes des ambassadeurs dans leurs activités futures.
Est-ce que les jeunes participent de leur propre chef ?
Un animateur présente le projet dans chaque centre social et ensuite les jeunes s’inscrivent de façon volontaire. Ils acceptent de s’engager dans la durée. Les animateurs ont été formés et vont former les jeunes à leur tour afin qu’ils soient tous porteurs du projet et deviennent des ambassadeurs.
Pourquoi avoir choisi les îles du Frioul pour cette première session ?
Ce sont des jeunes qui viennent de quartiers et de cités dans lesquelles ils sont un peu enfermés, volontairement ou involontairement d’ailleurs. Pour cette première journée, le choix des îles du Frioul n’est pas anodin, ça leur permet de sortir de leur environnement quotidien et de leur faire connaître un coin de Marseille qu’ils ignorent. Pendant un week-end, ces jeunes sont exemplaires. En les amenant dans ce lieu privilégié, dans un cadre agréable, on leur montre du respect et de la dignité, et ça c’est important. Le côté insulaire permet de se retrouver un peu seuls au monde. Ça facilite la communication entre eux qui ne se connaissent pas forcément puisqu’ils viennent de centres sociaux différents et ça permet de vivre un moment intense autour d’ateliers à la fois ludiques et sérieux sur les valeurs de la République. Le vivre ensemble est un travail collectif. Et ces valeurs que sont la laïcité, l’égalité, la liberté, qui sont des mots parfois difficiles à appréhender, nous voulons les inculquer en actes. En discours c’est bien, mais les vivre c’est quand même essentiel. Et c’est ce que nous souhaitons faire avec eux.
En quoi est-ce primordial de favoriser la mobilité de ces jeunes ?
Voyager c’est connaître l’autre. On parle de « la » Méditerranée mais en fait elle est plurielle, économiquement et politiquement parlant. Elle est tellement le théâtre de drames innommables, que voir ces jeunes qui échangent avec le sourire et l’envie d’être présents ensemble, c’est une réelle force de paix. Chacun sur sa rive, ces jeunes ont souvent les mêmes préoccupations. L’humain est au centre du projet. C’est une réelle ouverture culturelle. Et ce sont ces mêmes jeunes qui vont prendre le relais et être aux commandes de nos associations plus tard.
A leur retour de voyage, sont-ils transformés ?
Ils ne reviennent pas indemnes. Souvent, ici, ils ont des difficultés à se sentir français et parfois même marseillais, ils se définissent par leur quartier. Le fait de partir à l’étranger, ils se rendent compte que finalement c’est bien d’avoir de l’eau au robinet, et de vivre avec un certain confort. Ils se sentent beaucoup plus impliqués dans ce rôle de passeurs de citoyenneté et de vivre ensemble.
Propos recueillis par Samantha Rouchard