Entretien : « La culture urbaine s’est imposée dans l’espace rural »

juin 2009
Spécialiste du monde rural, le sociologue et politologue Jean Viard analyse le désir actuel des citadins pour la campagne.

Retour à la terre, développement des Associations de maintien de l’agriculture paysanne (Amap) et des jardins associatifs, réveils reproduisant les bruits de la ferme…

La campagne est à la mode ?

« Il y a un double rapport à la campagne, à son cadre de vie et à l’espace agricole. Le premier connaît des cycles : dans les années 70, celui de la génération des années 60 a exprimé un refus politique de la ville et de sa déchéance. Aujourd’hui, des gens profondément urbains choisissent d’habiter à côté de la ville pour avoir un jardin, une piscine. C’est nouveau et correspond à un art de vivre qui pousse les gens vers l’extérieur, au même titre que d’avoir une terrasse avec vue sur la mer à Marseille. »

Et le rapport à l’espace agricole ?

« Il est plus récent. Il exprime un nouveau rapport au faire pousser, à la production du vivant dans nos sociétés. Après un siècle et demi porté par les énergies fossiles, il y a une réinterrogation du rapport au vivant. Les urbains veulent voir des poules, voir pousser des tomates, des patates, etc. Quand une Amap de 60 familles fait vivre un agriculteur, ce n’est plus le même rapport à la campagne. Il y a un retour de l’intime avec le vivant, comme le montre aussi la place du développement durable dans notre société. »

« En Provence, il n’y a plus d’espace vide »

Est-ce le même désir de campagne que celui des néoruraux ? « L’expression de Bernard Hurieu et de sa femme date de 1973 ou 1974, lorsque des milliers de personnes sont partis s’installer à la campagne par refus de la ville et de l’économie capitaliste. C’était nouveau car tout le monde partait, c’était le début du phénomène. Aujourd’hui, à l’exception de quelques endroit en France, toute la campagne se repeuple, il y a une réutilisation de l’espace rural. En Provence, il n’y a plus d’espace vide. Surtout, à la différence des années 70, les gens ne recherchent plus l’autonomie, ils veulent créer du lien, sortir de l’individualisme de notre société. «

Alors, qu’est-ce que la campagne aujourd’hui ?

« Il y a une crise politique du village. Dans la région, la campagne a longtemps été un espace profondément démocratique parce que le droit d’aînesse n’existait pas. Il y avait des petits propriétaires qui s’associaient en coopératives, comme dans les années 20. On peut parler de socialisme rural. Aujourd’hui, il y a de tout : des pauvres qui ne peuvent pas rester en ville, des anciens agriculteurs, des gens arrivés par hasard, comme le prof de fac d’Aix-en-Provence qui a trouvé son terrain sur internet. Il n’y a plus de projet de vie commun, la culture urbaine s’est imposée dans l’espace rural. »

« Les gens recherchent l’authentique et peuvent faire 100 km pour le trouver »

Vous parliez pourtant de la recherche de liens. Les urbains qui s’installent sont friands de projets associatifs, l’accueil des citadins se développe…

« L’été, les fêtes votives sont submergées, les repas de la Saint-Jean ont été recréés, des marchés bio mis en place, il y a la fête du tricot, de la courge… Il y a une réinstallation d’une culture de village nouvelle, un mélange de vieilles et nouvelles pratiques. Les citadins recherchent l’authentique et peuvent faire 100 km pour le trouver. Mais les activités associatives procèdent des mêmes besoins qu’en ville : une partie des gens se reposent la question de la proximité. »

Cette campagne n’est-elle quand même pas un peu rêvée, idéalisée ?

« L’élite sociale a toujours eu une vision idéale, un amour de la campagne. Depuis les années 60, elle véhicule l’image de beauté et de liberté, même si aujourd’hui cette liberté est plus du cadre du privé. Par contre, comme je le disais, il y a un nouveau rapport au vivant. Il y a 30 ou 40 ans, certains avaient imaginé construire deux usines à œufs pour approvisionner toute la France, à l’image des porcheries en Bretagne ! Cette industrialisation du vivant n’est aujourd’hui plus pensable, il y a une inquiétude de le perdre. »

Propos recueillis par J-F P.

Dernier ouvrage paru : Lettre aux paysans (et aux autres) sur un monde durable (Editions de l’Aube, 2008).

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