Moi, Jean-Claude Dassier : Un président au charisme de poulpe
Enfin la lumière. Après 20 ans passés dans les studios sombres de France Inter, puis encore 22 ans dans les coulisses du JT de TF1, me voilà sous les sunlights. Et pas n’importe lesquels, attention ! Pas les basse tension d’Arte comme PPDA. Non, moi, j’ai décroché le gros lot. Président de l’Olympique de Marseille, autrement dit le poste le plus exposé médiatiquement en France après… celui d’entraîneur de l’OM ! Président de l’OM ! Alors là, même trois mois après, j’en reviens toujours pas. Quand mon pote Vincent Labrune (1), que j’avais connu lorsqu’il travaillait avec Jean-Luc Delarue, m’a appelé pour m’annoncer qu’il avait finalement eu la peau du grand marabout et qu’il me proposait son poste, j’ai cru à une blague de la caméra cachée. – Moi, président de l’OM ? Mais j’y connais rien en foot ! – T’as quand même été directeur du service des sports de TFI et tu as dirigé Eurosport. – Et alors, tu crois que j’étais sur le terrain ? J’ai tout dirigé de mon bureau, en passant des coups de téléphone. – Mais ce sera pareil à l’OM. D’ailleurs, tu ne seras que le troisième journaliste à devenir président, après Bouchet et Diouf. – Mais tu as vu ce qui leur est arrivé ? Une vie de dingues, tous les samedis au stade, la semaine à l’entraînement, toujours sur la brèche avec les supporters, sans parler des risques judiciaires avec les transferts de joueurs, et puis il faudrait encore que je réponde aux questions des journalistes, et puis il y a aussi les salariés et Jean-Pierre Foucault sans parler des résultats du club. Non, mais tu vois quel pot de pus tu me proposes ? – 70 000 euros par mois (2). – Ok, laisse-moi réfléchir.
« La droite, c’est filial chez nous »
Voilà, c’est en gros le contenu de la conversation que j’ai eue avec Vincent. Et là, dans mon grand bureau au 7e étage de la tour de TF1, je me suis enfermé toute une soirée pour réfléchir. J’ai appelé mon comptable, mon banquier, mon conseiller financier, j’ai consulté mon plan de retraite, j’ai regardé sur Boursorama le cours en chute de TF1, j’ai consulté la météo et les horaires de train entre Marseille et Paris. Je me suis regardé dans la glace et je me suis dit : « Jean-Claude, t’as 68 ans, tu pourrais très bien te la couler douce en attendant la retraite, ou mieux, en te faisant virer par la nouvelle direction en tant que vieux dinosaure et alors là, à toi le parachute doré. Mais t’es pas une lopette. Tu t’appelles Dassier, tu t’es fait tout seul dans la vie, pas comme tous ces petits merdeux que t’as vu passer. Jean-Claude, ce job est pour toi. Et 70 000 euros par mois, Jean-Claude. Putain, qui pourrait refuser cela ? »
Je n’avais pas encore rappelé Labrune qu’il y a mon fils qui m’appelle. « Papa, alors, c’est vrai, tu vas être président de l’OM ? Tu pourras me filer des places au stade pour inviter Nicolas et Carla ? » Arnaud, il est un peu con, mais comme c’est mon fils… C’est moi qui l’ai présenté à Sarko, il y a bien longtemps, quand il était seulement maire de Neuilly. Depuis, c’est son modèle. A 24 ans, il a adhéré chez Madelin et de fil en aiguille, il s’est incrusté à l’UMP jusqu’à être chargé de la campagne internet de Sarkozy pour les dernières présidentielles.
La droite, c’est filial chez nous. C’est d’ailleurs lui qui m’a aidé à la Teste-de-Buch où je me suis présenté en cinquième position sur la liste UMP de Patrick Davet. C’était mon plan de retraite numéro 1. Je me voyais déjà retraité dans ma villa au Pyla-sur-mer, notable local et dégustation de pinard au programme. Car la Teste de Buch, c’est en Gironde. A la limite, j’aurais pu prendre la présidence des Girondins de Bordeaux, mais ils sont chez M6.
« Je tire toujours la gueule »
Donc, me voilà contre toute attente président de l’OM. Et pour bien montrer que je ne connaissais rien au foot, j’ai tout de suite fait une très grosse connerie en proposant le retour de Jean-Pierre Bernès au club, faisant ainsi l’unanimité contre moi (3). J’étais déjà au bord du précipice. C’est Dreyfus qui m’a sorti de là. En décédant 15 jours après m’avoir nommé, il m’a relégué à la rubrique des petites annonces. Et pendant que je faisais mon travail de deuil où j’excelle vu que je tire toujours la gueule, Didier en a profité pour prendre la clé des champs. En un mois, il a pris toute la place. Et que je te dépense 40 millions d’euros pour recruter, et que je focalise l’attention de toute la presse pendant la préparation, et que je débute le championnat en haut du tableau.
Et moi alors ? Disparu ! Pour le premier match à Grenoble, je pique une colère noire car aucun journaliste n’est venu m’interviewer ! Faut que j’actionne mes réseaux parisiens pour obtenir un peu de médiatisation (4). Mais, moi, ce que je veux, c’est la Une de La Provence et de France 3 Méditerranée ! Alors, depuis un mois, je suis là tout le temps à Marseille. Je montre ma trogne à l’entraînement, je convoque des conférences de presse, je me montre les soirs de match, je m’agite, mais rien n’y fait. Faut dire que je n’arrête pas de parler pognon aussi (5). Les journalistes sportifs ne me jettent même pas un œil. Pas assez sympa, trop de langue de bois, un manque évident de maîtrise du foot, pas de bons mots, un charisme de poulpe, la totale quoi.
Si j’étais encore patron de l’info sur TF1, sûr que je me vire tellement je suis mauvais. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Car le soleil de Marseille a commencé à me tourner la tête. Je ne veux plus seulement faire de l’OM une entreprise bénéficiaire. Je veux être applaudi au Vélodrome, je veux que les gens m’arrêtent dans la rue, je veux être invité partout, je veux être l’homme que tout le monde désire rencontrer, que tout le monde aime et qui fait le bonheur de tout un peuple. Je veux être Diouf, moi !
Jean Tonnerre