L’économie au secours de la politique
Quand Gilbert Benhayoun s’est mis en tête d’ajouter sa pierre à l’édifice d’une résolution d’un conflit vieux de plus de 50 ans, il n’imaginait pas que son projet de créer les conditions d’une économie viable et juste pour les deux parties pourrait susciter autant d’enthousiasme au sein du cercle plutôt austère des économistes. Directeur du Centre d’économie régionale et des firmes internationales (CEREFI), professeur à l’université Aix-Marseille III, il organise un séminaire international sur les possibilités de collaboration économique entre Israël et un futur Etat palestinien. Rapidement, l’initiative prend la forme d’un collectif de travail permanent du nom de « groupe d’Aix ». Ce dernier rassemble économistes, hommes d’affaires et représentants officiels en qualité d’observateurs venus d’institutions internationales aussi prestigieuses que la Banque mondiale ou le Fond monétaire international. Convaincu qu’une économie saine est essentielle à une paix durable entre les Israéliens et les Palestiniens et que l’économie en tant que facteur de paix n’a pas bénéficié d’une attention suffisante de la part des responsables politiques, le groupe se met au travail. Il dégage des axes prioritaires pour que l’économie palestinienne puisse rattraper un niveau de vie comparable à celui de son voisin à travers un savant dosage d’indépendance et d’interdépendance.
Ce plan, baptisé la road map économique, qui ne serait cependant effectif qu’une fois la violence jugulée, est un complément à la phase III de « la feuille de route » lancée le 4 juin à Akaba en Jordanie par le quartet Etats-Unis, Union Européenne, ONU, Russie. Mais le projet lancé par le président américain George Bush n’a jamais été mis en application faute de réelle volonté politique des Etats-Unis. Et la mauvaise volonté de la part des deux belligérants n’arrange rien à l’affaire, Israël refusant de démonter les colonies illégales en territoires occupés et l’Autorité palestinienne tardant à s’imposer face aux factions terroristes comme le Hamas.
La première étape de la road map économique, surnommée « phase de sauvetage », oblige Israël à mettre fin aux restrictions touchant les déplacements des travailleurs palestiniens (limités à 20 000 après la seconde Intifada contre 120 000 auparavant) et de leurs marchandises. Actuellement, le gouvernement israélien retient une partie des taxes qui devraient être perçues par l’Autorité palestinienne. Affaiblie financièrement, en partie corrompue, cette dernière perd ainsi de la crédibilité au profit d’organisations plus radicales comme le Hamas.
Durant la deuxième phase, un Etat palestinien provisoire doit être en mesure de reprendre le contrôle économique de ses frontières. A cette étape, les Palestiniens sont aussi autorisés à émettre leur propre monnaie, mesure indispensable à des choix économiques plus conformes à leurs intérêts.
La dernière étape de la road map vise à l’établissement d’un Etat palestinien économiquement viable et l’instauration d’une zone de libre échange entre les deux pays, ainsi que la création de zones franches (certains secteurs sensibles étant toutefois protégés). Elle prévoit de donner aux Palestiniens un accès privilégié au marché du travail israélien, même si leur nombre devra être maîtrisé. Car selon le « groupe d’Aix », le différentiel économique des deux pays engendre une inflation globale des salaires palestiniens qui rend son marché non compétitif. « Il faut passer d’une économie qui dépend de son exportation de main-d’?uvre à une autre qui dépende principalement de ses exportations de biens et services », explique Arie Arnon, coordinateur du groupe et enseignant à l’université Ben Gourion. Le collectif reste toutefois muet sur les secteurs d’activité à développer ainsi que sur la manière réelle d’augmenter la production de biens et de services…
Autre projet des économistes aixois : mettre en place un comité économique Israélo-palestinien ainsi qu’un fond de développement nourrissant des projets qui pourraient servir à rapprocher les deux sociétés civiles (par exemple dans le secteur touristique comme celui des infrastructures). Pour eux, un « divorce » total entre les deux pays va à l’encontre des intérêts de chacun. Le groupe d’Aix, sans se faire d’illusion sur la situation actuelle, considère son projet comme une avancée importante dans le devenir des relations Israélo-palestinienne. Pour les auteurs de la road map, le mur de sécurité érigé par Israël pour se prémunir des attaques terroristes reste un obstacle majeur sauf à être ramené dans les frontières de 1967. « Nous allons donc devoir être amenés à empiéter sur le terrain politique pour accélérer le cours des choses », souligne Gilbert Benhayoun.
Ce projet émanant de la société civile, ambitieux mais méconnu, risque de subir le même sort que le plan de Genève. « L’économie, cela peut servir aussi à relier les hommes quelle que soit leur culture », veut croire le directeur du CEREFI. Mais les récents assassinats ciblés visant les leaders du Hamas, Sheik Ahmed Yassin et son successeur Abdelaziz Rantissi, font craindre que les enjeux ne restent pour longtemps uniquement focalisés sur le terrain politique.
Jonathan Ittah