Elus à usage unique
Déjà que les sénateurs peinent à justifier leur rôle auprès de leurs administrés, leur élection semble encore plus obscure. Pas sûr que les élus locaux chargés de les désigner comprennent tous le déroulement des opérations, à commencer par la composition du collège électoral… Le suffrage indirect ? Dès les premiers cours d’éducation civique, les collégiens en entendent parler. L’expression paraît même évidente. « Les sénateurs étant élus par les élus locaux, [ils] sont les mieux à même de représenter les collectivités territoriales », explique le sénateur-maire de Marseille Jean-Claude Gaudin sur son site internet. L’ancien prof d’histoire-géographie se risque toutefois à un raccourci de taille ! Car les « grands électeurs » en question ne se limitent pas aux députés, conseillers régionaux (1), généraux et municipaux. Viennent aussi s’ajouter des électeurs lambda, Français jouissant de leurs droits civiques et politiques. Des anonymes qui ont gagné leur ticket pour l’isoloir sénatorial le 27 juin dernier. En séance extraordinaire, les conseils municipaux ont ainsi sélectionné leurs « délégués ».
Si dans les communes de moins de 31 000 habitants, il s’agit seulement de tout ou partie du conseil, pour les villes plus denses en revanche, des « délégués supplémentaires » grossiront les rangs de cet éphémère collège électoral. Ils seront nombreux dans ce cas, à raison d’un par tranche de 1 000 habitants (comptés à partir de 30 000). Loin de se situer à la marge à Marseille, leur effectif s’élèvera à 777 pour seulement 105 « délégués de droits » (élus municipaux) ! Idem à Nice où ils seront plus de 300 à participer au vote contre environ 70 élus.
Qui sont donc ces « Grands électeurs » d’un jour ? Même quelques édiles semblent l’ignorer… En atteste l’abus de langage commis par l’opposition arlésienne qui confond « délégués titulaires » (expression qui n’apparaît pas dans le code électoral) et « délégués supplémentaires ». Ces longues listes, publiées par les préfectures, égrènent cependant des noms qui ne se révèlent pas si anonymes que ça. Des patronymes d’élus sonnent régulièrement. A Aix, par exemple, l’ancien maire Alain Joissains, condamné pour recel d’abus de biens sociaux et aujourd’hui dans l’ombre de sa mairesse d’épouse, pourra ainsi se rendre à l’urne tel un grand électeur. Des colistiers déchus aux dernières municipales auront également droit à leur jour de gloire ! Certains retraités occuperont leur temps, comme à Gap où cinq sur six d’entre eux ont cessé leur activité professionnelle.
Que gagneront-ils ? De la reconnaissance peut-être et « le remboursement de leurs frais de déplacement entre le domicile et la préfecture où se tiendra le vote », précise le directeur de la communication du Sénat (2). S’ajoute également, selon le code électoral, « une indemnité forfaitaire représentative de frais égale à l’indemnité pour frais de mission allouée aux personnels civils de l’Etat du groupe I » (sic). « C’est dérisoire », poursuit le responsable à la Haute assemblée.
Pas question, pour autant, de se dérober à ce devoir civique. Pour cause : c’est un scrutin obligatoire ! « Les grands électeurs sont tenus de voter pour les élections sénatoriales », rappelle Jean-Claude Gaudin. Reste à savoir s’ils suivront les directives des élus qui les ont choisis…
Adèle Monlairjih