Edito

octobre 2004

Le destin des mots est parfois surprenant. Les origines de l’expression « pieds noirs », auxquels nous consacrons notre dossier, sont sujettes à de nombreuses interprétations. Certaines remontent jusqu’à la présence romaine en Algérie, la plus fantaisiste évoque même l’existence d’une hypothétique tribu indienne – les Black Foot – en Afrique de Nord… Des historiens plus avisés constatent que les premiers à être taxés de « pieds noirs » furent, dans les années 20, les paysans du Bled marocain parce qu’ils avaient les pieds sales. On ignore exactement comment le terme a franchi les frontières pour désigner les français d’Algérie. Une seule certitude : il s’agissait d’une dénomination clairement péjorative. Pourtant, certains rapatriés brandissent désormais haut et fort leur identité « pied noir ». En quelques années, ce qui était humiliant hier, est devenu motif de fierté aujourd’hui. Un autre mot est tombé dans l’oubli. Pour se moquer des français qui débarquaient de métropoles, malhabiles, engoncés dans leurs beaux habits, les pieds noirs les ont nommés les « patos ». Canard, en espagnol, celui qui marche les pieds écartés…

On est toujours le « patos » ou le « pied noir » de quelqu’un ! Ceux qui, parmi ces derniers, minoritaires mais bien réels, ont commué leur ressentiment contre le peuple algérien en haine ou en racisme, devraient s’en souvenir. De son côté, les maghrébins dans notre région peuvent mesurer, au jour le jour, le poids des mots, leur âpreté. Ils ont tour à tour été qualifiés « d’immigrés », de « beurs » (une insulte là aussi au départ), de « musulmans », « d’islamistes ». Rarement de français, ce qu’ils sont le plus souvent. De tels glissements, comme dans un autre registre le refus de bâtir des mosquées trop « ostentatoires », alimentent la crainte d’une prétendue « islamisation » (lire page 15). Au rayon des craintes justement, certaines pourraient toutefois s’avérer fondées. La grande opération de réhabilitation de la rue de la République à Marseille passe probablement par l’éloignement des actuels locataires aux revenus modestes (lire page 5). L’attribution du marché public de la station d’épuration de Nice n’est peut-être pas aussi claire que de l’eau de source (lire page 4). Les élus cumulards de la région ne sont pas vraiment empressés de se mettre en règle (lire page 24). La liste est longue. Les mots risquent de manquer.

Le Ravi

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