le Ravi crèche à Cannes
A Cannes, les apparences ne sont pas toujours trompeuses. L’argent a ici sa résidence secondaire. Il ne fait pas bon être pauvre près de la Croisette. Et le personnel politique aime y faire beaucoup de cinéma.
24 clichés par seconde
Lorsque l’on pense à Cannes, 24 clichés par seconde viennent en tête. Normal dans une ville internationalement connue pour son festival de cinéma… Ville de riches ? Ville de vieux ? Ville « bling-bling » ? Ville où corruption et politique font bon ménage ? La réalité dépasse souvent la fiction… Le maire UMP, Bernard Brochand, est un adepte du sourire « ultra-brite ». Bientôt septuagénaire, il a fait fortune dans la pub, commençant sa carrière chez Procter & Gamble avant de vendre une autre lessive : « oui à la France qui gagne » avec Jacques Chirac, un proche… Pour Bernard Brochand, auquel l’humanité doit aussi les campagnes « La vache qui rit » ou « Canada dry », il faut défendre sans complexe Cannes comme une « marque ». Dans un autre registre, son prédécesseur, Michel Mouillot, a terminé sa carrière politique en prison, condamné pour corruption. Il en est sorti en septembre dernier, après 48 mois de détention, la plus lourde peine effectuée par un homme politique sous la 5ème République. Inéligible jusqu’en 2010, il a hanté la Croisette et les dernières élections municipales tentant, en vain, de pousser ses pions pour faire chuter le maire sortant… Bernard Brochand se vante d’avoir fait installer, lors de son premier mandat, 209 caméras de « vidéo-protection » dans tous les quartiers de la ville. « Vivement la suite ! », a proclamé son slogan de campagne. La suite ? Ce sera, par exemple, une centaine de nouvelles caméras et une cinquantaine de policiers municipaux supplémentaires. Pour surveiller qui ? Façon de rassurer, entre autres, les touristes d’affaires lorsqu’ils rentrent à leur hôtel après un fructueux shoping. Pour satisfaire les fortunés propriétaires des résidences secondaires dont la proportion s’élève à 40 %. Habiter Cannes lorsqu’on n’a pas hérité de papa ou gagné au loto est devenu un parcours digne des aventures d’Indiana Jones. « Pour les jeunes actifs, c’est la misère, déplore Guillaume Dafonseca, Cannois atypique car à la fois trentenaire et militant de la LCR. Soit tu t’installes en colocation, soit tu te casses dans l’arrière-pays. Les propriétaires gagnent plus en louant à prix fort une semaine aux congressistes qu’à un particulier durant toute l’année. » Devant la flambée permanente de la spéculation immobilière, Bernard Brochand s’est engagé à atteindre d’ici 2014, le seuil de 20 % de logements sociaux prescrit par la loi. Ce taux serait actuellement de 15 %, bien mieux donc que les 6 % du Cannet, la commune voisine, où Mme le maire, Michèle Tabarot, se satisfait ouvertement de la situation. « On va tuer notre région à trop l’urbaniser. Il faut préserver nos dernières réserves foncières. », affirme Philippe Tabarot, aussi peu attaché au logement social que sa s?ur Michèle. Conseiller général UMP de Cannes, candidat divers droite dissident, il lui a manqué 1000 voix pour remporter la mairie. Et il est déjà en campagne pour 2014. « Le concept d’opposition constructive, c’est souvent de belles paroles, explique-t-il. Je ne suis pas achetable comme l’a été jusqu’à présent l’opposition du maire. Il prétend gérer la ville comme une entreprise. Mais s’il avait géré ses entreprises comme il le fait pour Cannes, il n’aurait pas eu une aussi belle carrière. » Philippe Tabarot, 38 ans, a débuté aux côtés de Michel Mouillot. « Ce n’est ni une fierté, ni un déshonneur », assure-t-il. L’ex-maire déchu par la justice a appelé à voter pour lui entre les deux tours. « Ce n’était pas un soutien que j’avais revendiqué », balaye rapidement Tabarot. Sa montée en puissance inquiète, à droite comme à gauche. « Il a été à la tête du cabinet de sa s?ur pendant des années. Or on ne peut pas imaginer pire que Le Cannet en matière de social », affirme Claude Meyffret, tête de liste du PCF à Cannes aux dernières municipales. « Les rivalités personnelles entre Bernard Brochand d’un côté, les Tabarot de l’autre, alliés à Henri Leroy, le maire de Mandelieu-la-Napoule, freinent la création pourtant indispensable d’une agglomération. Ils se déchirent mais ils ont les mêmes idées. C’est UMP contre UMP : une catastrophe ! », déplore Apolline Crapiz, leader de l’opposition PS. Mais Philippe Tabarot ne laisse pas à la socialiste l’exclusivité de dénoncer la politique de « prestige » et les projets « pharaoniques » du maire : un complexe tennistique, un centre aquatique avec piscine olympique… Afin de séduire les quartiers populaires, où il a réalisé ses meilleurs scores, il peut aussi prendre des accents de gauche, comme savait le faire Michel Mouillot : « Il n’y a pas que la Croisette à Cannes ! Il faut s’occuper du quotidien des gens, affirme-t-il. Rarement de grands chefs d’entreprises ont fait de grands maires. Bernard Brochand a même exigé que les clubs « bel âge » fassent des recettes. Pour moi, cela doit rester un service public social ! » Les premiers conseils municipaux après l’élection ont pris l’allure d’un véritable champ de bataille. Il en va donc ainsi à Cannes : Sous un soleil de Satan, dolce vita et meilleures intentions côtoient souvent secrets et mensonges. Des clichés, toujours des clichés…
Michel Gairaud